CHAOUKI-LI-QACENTINA

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Faits marquants du mouvement du 22 février

Ces chants patriotiques qui réinvestissent l’histoire


Depuis le 22 février dernier, les Algériens vivent une ère historique. Ils respirent un air pur de liberté et de démocratie. Une révolution unique depuis l’indépendance du pays. Un soulèvement aux faits inédits, dont l’originalité continue de susciter l’admiration du monde entier.

Les Algériens, qui ont choisi de marcher pacifiquement, ont décidé de faire de leurs vendredis des journées de protestation contre le régime, dans une ambiance de tolérance, de joie, de bonne humeur, avec des notes remarquables de patriotisme. Les images de ces hommes, femmes, jeunes et personnes âgées, qui se sont réapproprié les symboles emblématiques de leur patrie, resteront à jamais gravées dans les mémoires. Mais le point fort de ces marches demeure le ton remarquable donné à ces chants patriotiques fredonnés en chœur sur les places publiques dans toutes les villes algériennes. Des chants qui semblent connaître une seconde vie, même si certains d’entre eux sont déjà connus depuis des lustres.

Nous avons choisi de revenir sur les cinq chants les plus en vue durant les six semaines de marches historiques. On ne peut se lancer dans cette saga inédite sans citer l’emblématique et inévitable Qassaman, l’hymne national et officiel appris par cœur par les bambins dans les écoles. Restée intimement liée à l’histoire de la Révolution, l’œuvre du grand poète, Moufdi Zakaria, née dans la prison de Serkadji en 1956, avant que sa musique ne soit composée par Mohamed Faouzi, avec une entrée en percussion réalisée par Haroun Rachid, connaîtra des fortunes diverses, avant de devenir obligatoire dans les établissements scolaires.

Elle s’imposera désormais comme le symbole historique de toutes les marches devenues pratiquement quotidiennes depuis la sortie des étudiants, suivie par les corporations des avocats, des médecins, des enseignants et des fonctionnaires des différents secteurs. Le véritable boom des chants patriotiques verra le jour le 8 mars, avec les marches grandioses et incomparables, qui ont coïncidé avec la célébration de la Journée mondiale de la femme. «Nous avons ressenti une véritable émotion quand nous avons interprété spontanément, sans nous connaître, comme si cela avait été préparé depuis longtemps, ces chants patriotiques qui donnent la chair de poule, mais qui laissent en nous un sentiment de fierté d’être des Algériens», s’est exprimée Nadia, enseignante dans un lycée à Constantine. Comme tous ceux et celles qui ne ratent plus les rendez-vous du vendredi depuis le 8 mars, elle affirme avoir redécouvert ces hymnes à la liberté, devenus ceux de la démocratie.

Min djibalina repris en chœur

On ne sait pas comment cela s’est produit, mais ce chant très populaire aussi durant la guerre de Libération, a été vite adopté dès les premières marches. Attribué au poète Mohamed Laïd Al Khalifa et composé par Mohamed El Hadi Cherif, il s’est imposé même, en raison de son caractère révolutionnaire, mais surtout par cette portée sentimentale, surtout dans le fameux passage, où son auteur exprime tout son amour profond pour son pays. On citera : «Ya biladi ya biladi ana la ahoua siwak, qad sala eddounia fouadi wa tafana fi hawaki» (Ô mon pays, Ô mon pays, je n’aime que toi/ Mon cœur a oublié le monde et s’est perdu dans ton amour).

Des paroles très émouvantes. «Croyez-moi, j’ai eu les larmes aux yeux quand j’ai écouté ce passage, je ne connaissais pas toutes les paroles de ce chant par le passé, mais j’ai décidé de l’apprendre par cœur et de le faire apprendre à mes enfants», a révélé Naziha, femme au foyer. Tous ceux que nous avons interrogés lors de ces marches reconnaissent qu’ils ressentent en eux quelque chose de nouveau. Un sentiment d’appartenance qui redonne cette joie de vivre pour sa patrie et pour ceux qu’on aime, quels que soient les problèmes et les difficultés de cette période de crise.

«J’ai l’impression que ces chants ont été spécialement composés pour ces marches historiques, on se reconnaît et on sent que cela a été fait pour donner à tous ces Algériens la force de continuer à défier le régime et à revendiquer son départ», reconnaît Zohir, employé dans une entreprise privée. L’exemple parfait se trouve bien dans ce passage : «Koulou chai fiki yanmou houbouhou mitla ennabat, ya toura yatiki yaoumoun tazdahi fihi el hayat» (Tout en toi grandit, son amour est végétal – puisse-il un jour arriver où la vie sera joyeuse). C’est tout le vœu des Algériens qui aspirent toujours à un avenir meilleur.

La force de Djazaïrana ya Bilad El Djoudoud

Les innovations et les idées ingénieuses de la jeunesse algérienne ne manqueront pas de donner plus de tonus aux marches du vendredi. Les vidéos de cette scène inédite improvisée à la rue Didouche Mourad à Alger, avec sonorisation, banderoles et portraits de martyrs accrochés au balcon, diffusées à une large échelle sur le Net lors des marches du 22 mars dernier, demeurent inoubliables. On en découvre aussi pour la première fois un chant qui a résonné dans les airs, rappelant une période héroïque de la Révolution algérienne. Comme si une nouvelle révolution venait de naître aussi.

Ecrit par le poète Mohamed Chebouki et composé par Mohamed Errabai, le chant Djazaïrana y bilad el Djoudoud a ranimé les mémoires et rappelé la glorieuse épopée du peuple algérien durant la Révolution. Ses paroles semblent même inspirer la jeunesse lors des marches. «Ce chant me rappelle les années de la Révolution, où ces paroles avaient un effet extraordinaire sur le moral du peuple et des soldats de l’ALN dans les maquis, on ne pouvait guère l’oublier», témoigne ammi El Hadi, ancien moudjahid à la Wilaya historique II (Nord-Constantinois) à qui nous avons montré les vidéos.

Messages d’amour de Mawtini

Il est l’invité surprise des marches de ces dernières semaines. Ecrit par le poète palestinien Ibrahim Touqan (1905-1941) et composé par le musicien Mohamed Fleyfel, Mawtini (Ma patrie) a été dédié au début à la résistance palestinienne contre l’occupation anglaise. Sa popularité lui donnera une dimension arabe. Il sera le chant emblématique de tous les peuples qui luttent pour leur liberté, avant d’être adopté comme hymne national irakien en 2004, après la chute du régime de Saddam Hussein. Dans ses vers d’une forte symbolique, on ne peut rester insensibles à cet amour sincère voué à la patrie.

Des passages de ce poème semblent exprimer d’une façon remarquable ce que les Algériens ne cessent d’espérer depuis le 22 février. Ce sont les propos où le poète s’interroge : «Hal arak hal arak, saliman munaâman wa ghaniman mukaraman» (Te verrai-je ? te verrai-je, en paix et prospère, victorieuse et honorée). Un peu plus bas, on peut lire : «La nourid, la nourid, dhullana al muabbada wa ayshana al munakada, la nourid bel nourid majdana al talid majdana al talid, mawtini mawtini.» (Nous ne voulons pas d’une perpétuelle honte, ou d’une existence malheureuse, nous n’en voulons pas, mais nous retrouverons notre gloire passée, ma patrie, ma patrie). Cela veut tout dire.

Éternel Min ajlika ya watani

Considéré comme un chant de la période du défunt président Chadli Bendjedid, reprenant les slogans du FLN des années 1980, le fameux Min ajlikya ya watani, qui a fait un tabac lors de sa sortie en 1982, semble se refaire une éternelle jeunesse, après sa reprise en solo, avec de nouveaux arrangements, par la talentueuse Yasmine Belkacem. Par sa voie sublime et limpide, Yasmine a su donner une autre portée à ce chant, interprété durant plusieurs années par la chorale de la Télévision et qui meublait les journées de célébration des fêtes de l’indépendance et de la Révolution, avant d’être mis au placard où il restera 37 ans.

Malgré cette célébrité, de nombreux jeunes ignorent encore tout de son auteur et de son compositeur. «Je sais que le poète s’appelle Omar El Bernaoui, dont je ne sais pas beaucoup de sa biographie, mais j’ignore le nom du compositeur», avoue Marwa étudiante à l’université de Constantine. Derrière cette popularité se trouvent deux hommes, partis malheureusement dans l’anonymat total. Rares sont les hommages qui lui ont été rendus pour les tirer de l’oubli. Le premier est le père de ce poème, Omar El Bernaoui. Né le 18 avril 1935 à Biskra, El Bernaoui fréquente l’école primaire à Barika (wilaya de Batna), puis rejoint l’Institut Abdelhamid Benbadis de Constantine.

Il poursuivra ses études secondaires en Tunisie, où il décrochera un bac et un diplôme en art dramatique. Très ambitieux, El Bernaoui ira jusqu’à Baghdad pour obtenir une licence en lettres arabes. Il commença sa carrière professionnelle comme enseignant dans plusieurs lycées à Alger. Il sera pendant 10 ans producteur et présentateur à la radio, puis rédacteur en chef de la revue Alouane. Membre de l’Union nationale des écrivains algériens, il fut désigné directeur de la culture à Biskra, puis à M’sila, avant d’être attaché de cabinet au ministère de la Culture.

Féru de poésie, auteur d’opérettes, de pièces de théâtre et de feuilletons télé, son œuvre majeure et éternelle demeure Min Ajlika Ya Watani. El Bernaoui s’est éteint le 24 février 2009 à l’âge de 74 ans à l’hôpital militaire de Aïn Naâdja. Il sera enterré dans sa ville natale, Biskra. Quant au compositeur de ce succès, il n’est autre que le défunt Chérif Kortbi, qui fut durant de longues années le chef d’orchestre de la Télévision. Né en 1937 à Ksar El Boukhari, dans la wilaya de Médéa, Kortbi a rejoint la radio avant l’indépendance comme musicien, puis en tant que compositeur, avant de diriger l’orchestre de la radio. Ayant composé également pour plusieurs artistes connus, il est aussi l’auteur de la musique du film Bouamama. Kortbi est décédé le 21 mai 2010 à Marseille à l’âge de 73 ans des suites d’une longue maladie.

Par/ S. ARSLAN

El Watan

Le 04 AVRIL 2019



05/09/2019
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