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Les aventures agro-écologiques du Batman malgache



 

Expert-comptable de formation et de profession, Erick Rajaonary est devenu industriel, un peu par hasard. « Tout a commencé lors d’une conversation entre amis au cours de laquelle il était question de guano et de la potentialité de Madagascar dans ce secteur », aime-t-il à raconter.

A l’époque, il ne connaissait rien au monde de l’agriculture, encore moins au secteur de l’engrais. Mais en dix ans, l’homme qui s’est, depuis, fait appeler Batman, est devenu un industriel reconnu, propriétaire d’une unité de fabrication d’engrais à base d’excréments de chauves-souris. Lauréat de l’Africa Award Entrepreneurship en 2013, il se trouve, depuis mi-2015, à la tête de l’une des plus puissantes organisations patronales de Madagascar, le Fivmpama (Groupement des chefs d’entreprise malgaches).

Son succès, Erick Rajaonary le doit donc à un animal dont Madagascar dispose à profusion mais que les Malgaches n’apprécient que très rarement. « Certains gens considèrent les chauves-souris comme des animaux puants ou encore des éléments du film Dracula », confie le Dr Steven Goodman, auteur d’un Guide sur « Les chauves-souris de Madagascar ». Pour ceux qui les apprécient, les chauves-souris, appelées « ramanavy » pour les insectivores et « fanihy » pour les frugivores, sont chassées pour leur viande, au point d’en être menacées. « Ces animaux constituent pourtant un élément indispensable au fonctionnement de l’écosystème forestier et la pollinisation du baobab », ajoute le chercheur.

Outre leur rôle écologique, les 44 espèces de chauves-souris disponibles à Madagascar fournissent également des matières premières pour la fabrication d’engrais, appelés guano. Leurs excréments se mélangent aux roches calcaires des grottes où elles se réfugient, ainsi qu’aux ossements des cadavres d’animaux. En se minéralisant sur une durée de 20 à 30 ans, la matière ainsi obtenue acquiert des propriétés fertilisantes, riches des minéraux nécessaires au développement des plantes et à leur bonne santé, comme l’azote, le phosphore, le potassium, le calcium ou encore le zinc.

Connu des communautés riveraines des gîtes et utilisé à petite échelle depuis les années 1920, ce guano de chauves-souris est, pour la première fois, exploité à une échelle industrielle en 2006. Erick Rajaonary est le premier à s’y lancer. Après la discussion « déclic » avec son ami, il visite quelques grottes du Sud du pays, et constate de visu les potentialités du pays. Rien que dans une grotte, il confie avoir vu « 3 000 à 4 000 tonnes de guano que personne n’a jamais extraits ». Sa décision est alors prise : il deviendra le premier homme d’affaires de Madagascar à exploiter cette matière première et à en commercialiser les produits, aussi bien à l’échelle nationale que sur le marché international. Avec 200 000 euros, puisés dans toutes ses économies et obtenus avec l’aide des banques, il lance Guanomad, une usine de fabrication d’engrais biologiques à base d’excréments de chauves-souris.

Très vite, l’affaire se développe. Les premières appréhensions passées, le produit fait sa percée, et en seulement deux ans, l’usine de transformation de guano multiplie sa production par 40. Le programme de révolution verte de l’Etat aidant, la production de Guanomad passe de 300 tonnes en 2006, première année d’exercice, à 13 000 en 2008. Le produit, présenté comme biologique et protecteur du sol et de l’environnement, séduit. Le débouché de la société qui dispose d’un réseau de 120 grottes avec une réserve de 400 000 tonnes de guano semble important. Dans un pays où 85% de la population vit en zones rurales, essentiellement d’agriculture, le marché est immense.

Mais rien n’est gagné d’avance. La crise politique traversée par la Grande île de 2009 à 2013 freine l’avancée de la société. Pour rester sur le marché, celle-ci n’hésite pas à s’impliquer auprès des paysans, sa principale cible, à qui elle octroie des crédits pour leur faciliter l’accès à ses produits. Avec des associations d’agriculteurs et d’organisations non-gouvernementales (ONG), elle lance également des projets de distribution de semences et de matériels agricoles. En soutenant les agriculteurs, Batman promeut par la même occasion ses produits. Mais la société part également à la conquête du marché international où elle écoule aujourd’hui plus de 50% de sa production. L’Europe, le Canada, les Etats-Unis mais aussi l’Afrique sont ses principaux débouchés.

La certification Ecocert, obtenue en 2010 et attestant du caractère « biologique » des produits de Guanomad, facilite l’accès de la société à des marchés exigeants dominés par le guano sud-américain. « Nos produits ne contiennent aucun additif chimique », garantit d’ailleurs Narindra Raharijaona, directrice de la communication et du marketing de Guanomad.

Le respect de l’environnement et des contraintes socio-culturelles et traditionnelles est également l’un des atouts de Guanomad. « Avant d’exploiter une grotte qui est un lieu sacré pour les communautés riveraines, nous demandons l’aval des villageois », confie Erick Rajaonary. Sur le plan environnemental, la société affirme également prendre toutes les dispositions nécessaires pour limiter le plus possible les impacts de ses activités d’extraction sur l’habitat naturel des chauves-souris. Sur le plan économique, elle offre des ristournes aux différentes collectivités où elle extrait les matières premières, tout en offrant du travail aux enfants des localités des sites de production.

Après extraction dans les grottes, le guano est acheminé vers les usines de production où il est séché, mélangé, broyé, puis mis en pellet avant d’être à nouveau séché s’il est livré sous forme de bâtonnet. Le produit, sous forme de poudre ou de pellet, subit ensuite un traitement thermique, puis est refroidi avant d’être emballé et distribué, soit à travers les 250 points de vente de la société, soit à l’international. Guanomad met aujourd’hui sur le marché sept différents types de produits, adaptés à différentes activités culturales, allant de l’agriculture biologique au jardinage, en passant par les professionnels du paysagisme ou les planteurs d’arbres fruitiers.

El Watan



29/06/2016
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