CHAOUKI-LI-QACENTINA

CHAOUKI-LI-QACENTINA

À propos de la plaque commémorative intitulée : «Les enfumades du Dahra»

 

Cette plaque, censée commémorer l’un des plus abominables crimes de guerre et crimes contre l’humanité, commis par le corps expéditionnaire français en Algérie, a été apposée solennellement en 2012, près du lieu connu sous l’appellation «Ghar Fréchiche» Nekmaria. Cette grotte naturelle se trouve dans l’un des massifs rocheux qui s’élèvent dans le Dahra, vaste plaine semée de mamelons s’étendant entre Ténès, Chlef et Mostaganem.

Avec d’autres grottes et cavernes de cette région, elle avait servi jusqu’au 20 juin 1845, de lieu de repli et de refuge, aux populations de la plaine, qui refusaient l’occupation de leur pays et s’opposaient avec leurs faibles moyens de défense dont ils disposaient, aux troupes d’occupation, en opération dans le Dahra. Cette stèle est-elle, tant dans sa forme que dans son fond, à la hauteur de l’événement historique qu’elle rappelle ? Ne convient-il pas d’en revoir son format et son inscription ?

Pour le savoir, il faut au préalable rappeler ce qui s’est passé dans cette grotte en juin 1845.

A l’intérieur de cette grotte sont morts un millier d’Algériens issus de la tribu d’Ouled Riah, dont des femmes et des enfants, asphyxiés et brûlés par la fumée dégagée des fagots de bois incandescents et d’autres matières inflammables, lancés dans la grotte par des soldats français, sur ordre de leur commandant. Il est quasiment certain, vu la tournure prise par les événements qui se sont déroulés en ces lieux, qu’il n’a jamais été question pour les chefs de l’expédition, ni de faire des prisonniers ni de secourir les blessés. Tous les livres écrits à propos des exactions et boucheries commises en Algérie, par l’armée française, l’attestent.

Dans le livre intitulé Histoire de l’Algérie française édité par Henri Morel, à Paris en 1846, on lit page 219 ceci : «Alors ce fut longtemps comme une double colonne de feu qui s’élevait à plus de soixante mètres de hauteur ( ... ) ; longtemps aussi on entendit les cris des malheureux que la fumée étouffait, qu’une chaleur brûlante calcinait jusqu’aux os.» Dans ce même livre, il est précisé que le colonel Pélissier, qui commandait les opérations sur place, «avait avec lui deux bataillons et demi, une pièce d’artillerie de montagne, la cavalerie et le corps de goum» (page 218). Dans un autre livre intitulé l’Afrique française édité par A. Barbier en 1846, à Paris, l’auteur fait à la page 440, le récit suivant «le 17 juin 1845, écrivait naguère au journal ‘‘Heraldo un officier espagnol au service de France’’ ».

«Au moyen de nos guides, on fit appeler l’un des Kébaïles et on lui dit que s’ils ne se soumettaient pas, ils seraient brûlés par les Français, qui avaient 26 mules chargées de matières combustibles.» Pour empêcher que quiconque puisse survivre ou échapper de cet infernal four crématoire collectif, le colonel avait fait placer des fagots enflammés à l’entrée de la grotte et partout où il pouvait y avoir la moindre ouverture par laquelle les derniers rescapés auraient pu respirer. Ce massacre d’une sauvagerie inouïe s’est déroulé du mardi 17 au vendredi 20 juin 1845, et ne cessa qu’une fois l’extermination totalement achevée.

A la fin, «quand on n’entendit plus rien que le pétillement des bois verts...», a écrit l’auteur de ce livre L’histoire de l’Algérie française, les soldats entrèrent dans la grotte et furent confrontés au spectacle dantesque ainsi décrit par un témoin oculaire : «A l’entrée se trouvaient des animaux morts, enveloppés de couvertures de laine qui brûlaient encore, quelques taureaux avaient du sang aux cornes, ce qui dénotait que, rendus furieux, ils avaient, dans leur course, éventré des femmes, des enfants...

On arriva dans la grotte par une traînée de cendre et de poussière d’un pied de hauteur. Tous les cadavres étaient nus dans des positions qui indiquaient les convulsions qu’ils avaient dû éprouver avant d’expirer, le sang leur sortait de la bouche, des enfants au sein gisaient dans les bras de leurs mères... Le nombre des cadavres s’élevait à 1000 environ... Au fond de la grotte, on trouva quelques-uns debout, cramponnés à des anfractuosités de roche et de bouche collée contre les fissures d’une des parois de la caverne et morts là, en cherchant à respirer un peu d’air frais du dehors.» Les dépouilles mortelles n’eurent même pas droit à des sépultures.

En effet, dans le même livre de A. Barbier cité ci-dessus, l’auteur rapporte page 442 ce témoignage effrayant «le 23 au soir, nous avons porté notre camp à une demi-lieue, chassés par l’infection, nous avons abandonné la place aux corbeaux et aux vautours qui volaient depuis plusieurs jours autour de la grotte, et que de notre nouveau campement nous emporter des débris humains». Un autre témoignage confirme qu’avant de quitter les lieux, il y a eu des scènes de pillage sur des cadavres.

L’un des témoins a déclaré, page 441 du livre: «Malgré tous les efforts des officiers, on ne put empêcher les soldats de s’emparer de tous ces objets, de chercher les bijoux et d’emporter les burnous... J’ai acheté un collier pris sur un des cadavres... et je garderai... deux yatagans que le colonel nous a envoyés comme un souvenir de ces effroyables scènes.» Le colonel Pélissier n’a fait, dit-on, qu’exécuter les instructions de son commandant en chef, le général Bugeaud, qui avait effectivement ordonné à ses subordonnés chargés par lui de «pacifier» la région du Chlef ceci : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes... enfumez-les à outrance, comme des renards !» Mais Pélissier approuvait, avec beaucoup d’autres officiers supérieurs du corps expéditionnaire français en Algérie, les manières de faire de son chef direct et y souscrivait sans réserve.

On rapporte qu’après le massacre de la grotte de Fréchiche, il a déclaré : «La peau d’un seul de mes tambours avait plus de prix que la vie de tous ces misérables !» La cruauté sauvage de cet homme, comme celle de son chef, est infinie, c’est celle des hommes, qui disposant de la force armée, sont en plus convaincus de leur supériorité culturelle et raciale, par rapport à leurs adversaires et à tout autre humain laissé à leur merci.

La commémoration

Or, la plaque apposée en 2012, pour commémorer les atrocités qui ont eu lieu dans la grotte de Fréchiche, du 17 au 20 juin 1845, dans les conditions ci-dessus rappelées, ne rend pas suffisamment compte, à notre avis, tant par sa forme que par son fond, de l’horreur des faits commis, ni de l’importance historique de l’événement. D’où les suggestions suivantes. Il conviendrait :

l. De consolider prioritairement l’ouverture principale de la grotte qui présente des risques d’éboulement, en faisant appel à un bureau d’études spécialisé et à une entreprise de réalisation des travaux hautement qualifiée.

2. De faire de Ghar Fréchiche, un site historique d’importance nationale, protégé juridiquement et matériellement.

3. De réaliser in-situ un mémorial, c’est-à-dire un édifice de dimensions modestes où seront exposés des copies des documents, extraits des livres traitant de l’événement, des copies de débats parlementaires qui ont eu lieu à Paris pour dénoncer ces massacres, des cartes géographiques, des rappels historiques relatifs à la résistance de Boumaza sous le drapeau de l’émir Abdelkader.

4. D’y ériger une stèle faite à partir d’un grand bloc de pierre découpé à partir du rocher dans lequel est creusée la grotte.

5. Apposer sur cette stèle qui doit être aussi solide qu’imposante par ses dimensions, une plaque portant une inscription honorant la mémoire des martyrs et flétrissant la barbarie du corps expéditionnaire français avec mention de quelques données chiffrées puisées dans les livres d’histoire.

6. Veiller à ce que l’inscription portée sur la plaque soit la plus explicite possible, sans langue de bois ni pathos.

7. Eviter d’écrire sur cette plaque ces deux termes, le premier est celui d’«enfûmade» qui a été donné à ce événement par ceux-là mêmes qui ont commis ou laisser commettre à Ghar Fréchiche des actes d barbarie, le second est «mahraqa» qui est la traduction arabe de «l’holocauste» expression utilisée pour les tueries et les gazages effectués par les nazis en 1940-1945, avec leurs fours crématoires dans le camp de concentration.

 

8. N’utiliser sur cette plaque que les termes d’extermination méthodique, de barbarie, sauvagerie, crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui nous parlent plus que tous les autres mots.

9. De faire de ce site historique et lieu de mémoire, un espace de recueillement, un endroit fidèlement conservé et correctement entretenu, ouvert au public et plus particulièrement aux écoliers, lycéens, étudiants qui doivent trouver sur place des guides pour leur dire ce qui s’est passé dans ces lieux.

Conclusion

Paraphrasant une observation de l’écrivain français Guy de Maupassant, on conclura cette modeste contribution en disant que l’une des particularités des sites historiques et des lieux de mémoire c’est de faire revivre en nous ce qui n’est plus.

Salah Rahmani

Ancien secrétaire général du ministère des Moudjahidine

El Watan

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05/07/2016
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