CHAOUKI-LI-QACENTINA

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«Dans l’Immidir, il y a des peintures comme à Tamrit dans l’Ajjer !»

A la découverte de l’Immidir


La Tassili de l’Immidir, Mouydir en arabe, est situé à environ 350 kilomètres au nord de Tamanrasset, entre Amguid et Ti-m-Meskis, à l’ouest-nord-ouest des gorges d’Arak. Elle est entièrement située dans le Parc national et culturel de l’Ahaggar (OPNCA), créé par un décret de 1987. Bien que l’usage ait mis ce nom Tassili au masculin, il est féminin en tamahaq, la langue des Touareg du Hoggar central, aussi est-il bon d’en profiter pour signaler que tous les noms commençant par un «t» sont féminins dans les langues berbères. Ce terme sera donc employé ici au féminin.

C’est à une méharée de Tamanrasset à In Salah, en novembre 1982, que je dois d’avoir découvert l’Immidir. Des Touareg Iseqemaren Iheiawen Hâda, originaires de cette région où ils avaient leurs campements, encadraient le voyage. Arrivés au pied des falaises de ce tassili, nous abreuvâmes nos chameaux au puits d’Ahorar. Par chance, se trouvait là un Targui d’une tribu autre que celle de nos chameliers, avec lequel, pour passer le temps, j’engageai la conversation en tamahaq sur la valeur actuelle du pâturage dans le pays.

Changeant de sujet, pensant m’intéresser, mon interlocuteur me raconta alors que l’Immidir recélait des peintures "comme à Tamrit, dans l’Ajjer". Je lui posai aussitôt quelques questions les concernant, puis il me donna son nom sans se faire prier : Mohamed Ag Ahmadou Khamdani, surnommé Zatel. Le renseignement qu’il venait de me dévoiler était d’importance, mais il me fallait parvenir à In Salah avec mon groupe, avant d’entreprendre tout autre voyage. Je promis toutefois à Zatel de revenir dans la région dès que possible.

Quelques jours plus tard, notre itinéraire passant par l’oued Anaserfa, nous y découvrîmes quelques peintures, ce qui confirmait ce que j’avais entendu au puits d’Ahohar. De retour en France, je ne trouvais pour me documenter sur l’Immidir que quelques rapports d’officiers méharistes français.

Henri Lhote, dans son ouvrage Les Touareg du Hoggar, à propos de cette région, s’était contenté d’écrire : «qu’on y rencontre des canyons pittoresques et de superbes torrents et que les points les plus pittoresques sont certainement les gorges de Takumbaret et d’Arak.» Enfin, une communication du géologue Follot, sur la géologie du pays, montrait qu’il n’avait pas pénétré profondément dans ce massif gréseux. Des renseignements bien maigres pour me lancer dans l’exploration de ce tassili !

Cependant, dès le mois de février 1983, j’étais de retour en Immidir avec deux amis et avec mon vieux compagnon Abdallah Ag Khabti. Au rendez-vous se trouvaient Hadj Ag-Fâsi et son fils Bey, deux Touareg, qui avaient conduit notre groupe à In Salah. Après nous avoir montré quelques petites gravures dans l’oued Tisedwa, Hadj Ag-Fâsi nous emmena au seul abri décoré qu’il connaissait.

On pouvait y voir un berger armé d’une lance, à pointe vraisemblablement métallique, surveillant quelques bovinés. Puis il nous conduisit au campement de Zatel. Il s’y trouvait par bonheur et fut enchanté de nous montrer les abris avec peintures qu’il avait remarqués dans la région. Ce fut trois jours riches en découvertes et Zatel m’expliqua qu’il y avait bien d’autres abris qu’il me montrerait si je revenais, ce que je lui confirmai pour l’automne suivant.

J’avais compris que le pays était vaste, qu’aucun Targui nomadisant en Immidir ne pouvait se vanter de le connaître dans son ensemble, que beaucoup de vieilles pistes s’étaient effondrées, n’étant plus utilisées, et que les chameaux n’étaient plus entraînés à passer partout dans la montagne, puisque les campements se trouvaient depuis longtemps dans les vallées ou le piémont du plateau, les guerres tribales ayant depuis longtemps disparu. Des abris sous roche, il y en avait des centaines à visiter, m’assurait-on, peut-être même des milliers, et les Touareg locaux étaient sûrs qu’il y avait beaucoup de peintures en plus de celles trouvées par Zatel et ses frères. Il faudrait seulement les découvrir.

En sillonnant le pays avec nos groupes touristiques, je m’aperçus que l’Immidir était un fouillis de plateaux, coupés de profonds canyons, loin d’être toujours faciles à parcourir. Au fil des années, j’accumulais les itinéraires, mais je reconnais qu’une quarantaine de voyages m’ont été insuffisants, de 1983 à 2010, pour visiter entièrement ce pays...

L’un fut capital, après qu’un des Touareg de notre équipe, Hadj Baba Ag Elias, m’eut expliqué, en 1986, que des jeunes de sa famille, en gardant les chèvres ou en cherchant des chameaux, avaient découvert des peintures dans des abris du plateau d’Ifetesen, la plus haute région de l’Immidir (1 684m). Effectivement, dans l’abri le plus important, nous trouvâmes un nombre exceptionnel de peintures. Hadj Baba n’en revenait pas, me racontant en riant qu’il avait utilisé cet abri très souvent pendant de nombreuses années mais qu’il ne s’était aperçu de rien !

Hadj Baba m’apprit aussi, qu’autrefois, quand il y avait beaucoup de pâturages sur ce plateau d’Ifetesen, que les méharistes de l’armée française y faisaient pâturer leurs chameaux, mais que leurs gardiens ignoraient tout de l’art rupestre et ne pensaient qu’à chasser les mouflons ! Il est intéressant de noter que le lieutenant Besset avait atteint en 1903 cette zone de pâturage bien connue des Touareg. D’autres voyages nous permirent vite d’y trouver un grand nombre d’abris magnifiques.

J’allais bénéficier d’une autre chance encore, la rencontre d’un oncle de Bey, qui me raconta qu’en 1943, l’amenûkal Akharamuk Ag Ihemma, avait donné l’ordre à quelques Touareg de l’Immidir, dont son père, d’aller chercher avec leurs chameaux des personnes à Tadjemout, où passait autrefois la piste routière. Il avait onze ans à cette époque, mais il me décrivit parfaitement l’itinéraire qu’avaient suivi ces gens, qu’ils n’étaient pas montés sur les plateaux, restant dans les vallées, où ils ramassaient des cailloux qu’ils emportaient. Par Marceau Gast, célèbre ethnologue, spécialiste de l’Ahaggar, j’appris plus tard que ce petit groupe d’Européens devait être des membres de l’I.R.S. d’Alger, emmenés par le professeur Reygasse.

Il y avait effectivement au bord de certains oueds des outils du paléolithique inférieur grossièrement taillés. Les peintures et les gravures de l’Immidir échappèrent donc à cette équipe de préhistoriens ! Ce Targui en profita pour m’indiquer un autre site où il savait qu’il y avait des peintures ! Les campements encore installés dans les vallées du massif furent aussi questionnés pour savoir si des bergères, des enfants ou des hommes à la recherche de leurs chameaux n’avaient pas remarqué des peintures ou des gravures.

Les résultats restèrent modestes. En fait, les plus importantes découvertes, sauf exceptions, ne s’accomplirent qu’au cours de voyages personnels avec les guides Mohamed Ag Ahmadou Khamdani et son jeune fils Ahmadou, ses frères Bahaman, Boussif et Rali, ainsi qu’avec les Iseqemaren Hadj Baba et son fils Nasamou Ag Elias, Rabdou El Messik, Hadj Bey et Elffaqi Ag Hadj Ag-Fâsi. Plusieurs de ces guides furent plus tard engagés comme gardes à l’O.P.N.C.A. et sont maintenant retraités. Bahaman est décédé depuis longtemps.

Mais nous n’oublions pas, ma femme et moi, que nous lui devons la découverte des peintures de Ti-m-Meskis, en particulier celles d’I-n-Ana, en 1984. Il convient de signaler que cette région de Ti-m-Meskis, bien qu’excentrée, appartient à l’Immidir et non à l’Ahnet. Du fait de son accès facile en voiture, ses peintures, non loin des grandes dunes de l’erg Méhédjibat devinrent vite un lieu très fréquenté par les agences de voyage de Tamanrasset et d’In Salah.

C’est grâce à ses peintures et à ses gravures que nous avons découvert l’Immidir, mais c’est plus encore la variété de ses paysages et leur tranquillité qui nous ont attachés à cette tassili. Impossible d’oublier les montées sur le plateau par des pistes scabreuses où seuls les «éhéhé-é,éhéhé-é», cris rassurants poussés en permanence par les chameliers, permettent à leurs bêtes d’avancer malgré la peur de dévaler la pente.

Impossible aussi d’oublier les forêts d’aiguilles de grès comme posées sur des tapis de sable, les immenses gueltasque dominent des cascades de pierre de plus de cent mètres de hauteur, les petits bois de myrte (Myrtusnivellei) ou d’autres arbustes qui animent tout à coup le fonddes oueds,le bonheur de s’enfoncer dans d’impressionnants canyons sans même savoir comment on s’en échappera...

Traversée des hauts-plateaux d’Amaségré au nord est aux gorges d’Arak

J’avais parcouru toutes ces régions de l’Immidir séparément au fil des ans. Il restait à les relier en un seul voyage. Ce fut réussi en 1993, en dix-sept jours de marche. «Un itinéraire parfois limite», écrivit le journaliste-alpiniste Sylvain Jouty, car la corde dût être employée deux fois par sécurité.

S’il était possible de passer partout à pied, le problème principal fut l’organisation logistique assurée par des chameaux qui ne pouvaient hélas pas suivre totalement l’itinéraire des marcheurs et qui durent souvent employer un itinéraire plus aisé. Seize randonneurs capables de porter des sacs pesants avec couchage, eau et vivres pour deux ou trois jours furent sélectionnés pour cette traversée conduite par le guide Rabdou et par moi-même. Un voyage qui débuta sous la pluie ! Enfin, après de nombreuses aventures, nous arrivâmes au clou de l’expédition, la descente spectaculaire du canyon d’I-n-Tehadawin. Je l’avais descendu seul en 1988, obligé d’éviter sa partie la plus étroite envahie par l’eau en remontant sur sa rive droite.

A nouveau, il fallut éviter la partie inondée du canyon mais pour cela je choisis cette fois la rive gauche avant de redescendre au fond du canyon où un magnifique bivouac nous attendait comme enfouis au centre de la terre !Le lendemain, un poignet cassé dans une chute qui se produisit heureusement non loin de la sortie d’I-n-Tehadawin fut la dernière aventure de la traversée. Et c’est le bras immobilisé grâce à une attelle gonflable que notre blessé déboucha triomphant dans les gorges d’Arak avant que nos deux infirmières lui fassent un plâtre avec notre pharmacie !

Toutefois, la descente intégrale du canyon restait un mystère ! Je dus attendre la retraite pour qu’en soit levé le voile! Novembre 2002 : cette fois, c’était la marine qui s’attaquait au canyon d’I-n-Téhadawin ! Rabdou, toujours lui, et Hadj Bey, conduisant deux chameaux portant nos bagages, nous approchèrent de la zone inondée. A la guelta Rabdou, appelée ainsi car ce dernier faillit s’y noyer en avril 1992, les marins se préparèrent et l’un des participants sortit de son sac une casquette d’officier de marine, m’en coiffa et me déclara amiral de l’expédition. Du même, j’eus droit à une bouée à tête de canard, avec tout de même un gilet de sauvetage comme les sept autres marins.

Quatre canots pneumatiques furent immédiatement gonflés et mis à l’eau, tandis que tout le matériel était entassé dans des sacs ou des bidons étanches. Nous emportions même une corde et tout ce qu’il fallait pour faire une escalade difficile si un énorme bloc de rocher venait à barrer le canyon. Rabdou hésitait encore à se joindre à l’équipe puis déclara : «Je ne vais pas me dégonfler puisque des femmes y vont en riant» et il enfila son gilet de sauvetage ! Ainsi paré, il fit deux tours de guelta en canot avec moi, ce dont il sortit rassurer. Hadj Bey ne nous quitta que lorsqu’il eut vu que nous avions tous traversé la mare, avec mission de venir nous chercher le lendemain.

Nous atteignîmes très vite le rétrécissement des gorges où l’eau m’avait repoussé, et les canots remplirent leur usage. Le temps passait car parfois des troncs d’arbre apportés par une crue nous obligeaient à de périlleuses acrobaties prenant beaucoup de temps. Les légers coudes du canyon nous empêchaient d’anticiper et nous nous demandions si au lieu de bivouaquer sur la terre ferme nous ne serions pas obligés de passer la nuit assis sur une marche de la paroi ou dans nos canots ! Rabdou avait pris de l’assurance. Quand on lui disait qu’il avait pied, il sautait dans l’eau, sa pagaie à la main.

La gorge s’élargissant, pour gagner du temps, deux des participantes traversèrent à la nage l’un des derniers biefs : «Houndigran, comme des grenouilles», s’écria notre marin touareg ! Enfin, le havre du bivouac fut atteint à la grande joie non seulement des nautoniers mais d’une nuée de moustiques heureux de voir arriver de la chair fraîche pour leur repas du soir ! La jonction avec le bas du canyon que nous connaissions bien était enfin réussie et le lendemain matin nous rejoignîmes Hadj Bey par le plateau, rassuré de voir que Rabdou, pas peu fier de son exploit, avait échappé à la noyade !

Autres curiosités que m’a permis de découvrir la Tasili-n-Immidir

La première, botanique, date de 1983. Ce fut la découverte d’un arbuste appelé l’Euphorbe balsamifère dont j’appris qu’on l’avait cru longtemps cantonnée à la façade maritime de l’Afrique australe et à la Péninsule arabique, mais que cette euphorbe balsamifère est présente au Sahara.Cet arbuste, que les Touaregs locaux nomment tabaderwait (tibaderwiîn, au pluriel), peut atteindre près de 4,50 m en Immidir. Un oued du plateau, dans lequel j’avais pu compter environ 35 individus en été 2006, porte son nom : Wa-n-Tibaderwiîn. La seconde curiosité surprenante de ce massif de grès est d’y avoir découvert, aussi en 1983, un petit massif volcanique.

Je fermais la marche de notre caravane, tirant mon chameau par la reine, quand j’aperçus à mes pieds plusieurs morceaux de basalte. Non loin de notre piste se dressait un petit massif volcanique ! Le professeur Pierre Rognon, géographe et géologue réputé que j’informai, se montra très surpris par cette sortie volcanique d’environ un kilomètre de longueur, en plein Immidir, aussi au nord du Hoggar.

Il m’avoua avoir survolé maintes fois ce massif gréseux avec le B.R.G.M. français, puis souvent avec la SONAREM, sans jamais avoir remarqué cette curiosité géologique. «Un beau sujet d’étude reste à faire», comme me l’a dit la géologue-volcanologue algérienne, Farida Aït-Hamou. Quant à la troisième, moins spectaculaire, elle n’en est pas moins exceptionnelle : la découverte en 1986 d’un insecte de forte taille qui gisait sur le sable d’une petite grotte. Si son corps de couleur noire mesurait 5 cm, son envergure totale, pattes et antennes démesurées comprises, était de près d’une vingtaine de centimètres.

Notre guideRabdou, pas plus que nos chameliers et les Touaregs de l’Ahaggar central auxquels je montrai cet insectene le connaissaient. Ce ne fut que par le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, que j’appris qu’il s’agissait d’une amblypyge, le musicodamon, espèce entre l’araignée et le scorpion, et que c’était la première fois qu’elle était découverte au Sahara central, vivant habituellement en zone africaine tropicale humide, ce qui n’est pas le climat actuel de l’Immidir ! Cet insecte ne sort que la nuit, n’est pas agressif et ne possède pas de venin.

Ces trois curiosités furent signalées en leur temps à l’OPNCA. Durant l’un de ces voyages, en 1994, j’ai eu le plaisir d’être accompagné par Chekib Bendimred, créateur et premier directeur de l’OPNCA, heureux lui aussi de découvrir l’Immidir et d’y voir quelques-uns des plus beaux abris du plateau d’Ifetessen. Un voyage qui se poursuivit jusqu’aux gorges d’Arak.

Plus tard, en avril 2007, nous fîmes, ma femme et moi, cette fois avec Farid Ighilhariz, directeur alors de l’OPNCA et Ahmed Aouali, sous-directeur et aujourd’hui directeur, un superbe voyage, lui aussi sur le plateau d’Ifetessen et sa région isolée d’Imsaten, Hadj Bey était notre guide. Beaucoup d’abris furent visités et il fut descendu du plateau sur un chameau, un bétyle d’une quarantaine de kilos sur lequel était gravé un petit personnage. Rapporté à Tamanrasset, il a été déposé à l’OPNCA. Nous l’avions caché des années plus tôt avec les Touaregs de peur qu’il ne soit volé malgré son poids.

Pour conclure cet article, nous pouvons dire, ma femme et moi, que l’Immidir reste pour nous l’exemple de ce qu’un pays peut offrir à celui qui va à pied et que si nous avions encore la possibilité d’accomplir un grand voyage dans le Sahara algérien, nous choisirions de nous rendre bien sûr en Immidir, non seulement pour revoir ses paysages, mais aussi pour retrouver nos guides qui ont si bien su nous faire aimer leur pays.

Par/Jean-Louis Bernezat

El Watan



09/06/2017
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