CHAOUKI-LI-QACENTINA

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Bois et forêts


Bois et forêts

La plus belle parure de Constantine fut pendant longtemps ses bois de pins qui, des hauteurs de collines flanquant le plateau du Mansourah, aux crêtes rocheuses de Sidi M'Cid, mettaient sur des centaines d'hectares une fraîche couronne de verdure autour de la ville.

Par deux offensives, les neiges des hivers 1944-1945 et 1951-1952 ont taillé dans ces pinèdes des coupes sombres, déracinant, brisant les fûts, les branches maîtresses et les têtes chenues. Des plaques lépreuses de terre nue, désolée, parsèment aujourd'hui les étendues verdoyantes du Bois de la Légion d'Honneur, du Fort de Sidi M'Cid, de la Fontaine du Garde et de la Fontaine des Curés.

C'était une tradition bien constantinoise, la sortie champêtre, les jours de la " Saint-Couffin ", aux premiers beaux jours de Pâques d'autrefois. Dans les grands paniers souples à deux anses, faits de feuilles d'ajoncs tressées, particuliers à l'Algérie et communément appelés couffins, s'entassaient des monceaux de victuailles, de grands pains dorés, des bouteilles et des flacons ventrus.

Par familles entières, les maisons se vidaient dès l'aube ; les bandes joyeuses escaladaient les pentes et s'enfonçaient sous les couverts sylvestres. On déballait la mangeaille, on tendait des tentes, on étalait des couvertures sur l'herbe émaillée de myriades de pâquerettes et de toute la floraison des orchidées sauvages, des blancs ornithogales, des iris minuscules qui marquent le trop court et fugitif printemps algérien.

Jusqu'à la nuit tombée, les bois résonnaient de cascades de rires, on jouait, on se déboutonnait à la bonne franquette ; la joie et la gaieté coulaient à flots d'un bout à l'autre des bois et des fourrés.


Ornithogale - (ornis-ornithos : oiseau et gala : lait)

Le lendemain de ces journées de plein air, l'herbe foulée, piétinée, était jonchée de papiers gras, de boîtes de conserves vides et de cartonnages éventrés que les chiens errants des douars d'alentour venaient renifler tristement ...

Les plus heureux étaient ceux qui, possédant un véhicule quelconque, ou assez hardis pour affronter la dizaine de kilomètres le séparant de la ville, montaient au Djebel-Ouach.

S'il est un coin de la terre, chéri des Constantinois, c’est bien Djebel-Ouach. Piqué en pleine montagne à près de mille mètres d'altitude -(la Côte 1020 domine le bois au Nord)- c'est un nid épais et touffu aux essences variées de conifères, de chênes, de frênes et d'eucalyptus géants. Certains arbres dressent leurs troncs à plus de cinquante mètres de hauteur, des cèdres bleutés étendent leurs branches palmées sur de larges espaces : les conifères, à l'automne, ouvrent leurs cônes mûrs et laissent tomber des pluies de pignons - (appelés à tort : pistaches) - que les gamins recherchent dans les herbes.


Bois et forêts

Un grand lac dégagé sur la hauteur des pentes, avec son île minuscule de Robinson, comme un bouquet feuillu planté en plein milieu, alimente en eau quatre autres étangs cachés dans les arbres, les buissons, les herbes sauvages et tout un peuple de poissons rouges, dorés, de barbillons et de goujons, hante les eaux calmes dans lesquelles les grands arbres reflètent leur image renversée.

A l'heure des couchers de soleil, l'eau garde longtemps la lumière et les traînées d'incendie du ciel ; les surfaces immobiles ressemblent à de grandes glaces orées où se jouent, avec une précision étonnante, les formes et les couleurs romantiques de crépuscules irréels.

Les bandes joyeuses d'antan ont fui les bois de pins tout proches frappés d'alopécie. Seul, Djebel-Ouach a conservé sa foule d'amateurs de "Saint-Couffin". Aux chaudes journées d'été, des caravanes d'autos filent vers la hauteur montagneuse, vers les havres de fraîcheur et d’ombre des grands arbres séculaires. L'hiver, aux premières offensives de neige, les pentes blanchies attirent des bandes joyeuses de jeunes guerriers inoffensifs et d'apprentis skieurs s'enivrant de ces joies passagères.  Et les immenses ramures étonnées, pliant sous les croupes rebondies de neige immaculée, se donnent, pour un moment, de grands airs de forêt vosgienne ...

Par/ A. Bianco

Algérie mon beau pays


Encre sur Canson de M. P. B.



22/11/2018
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