CHAOUKI-LI-QACENTINA

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CONSTANTINE : LES PONTS DE LA BLESSURE

Les multiples blessures de cette ville alternent paradoxalement avec un charme discret l’investissant d’une certaine originalité qui manque à de nombreuses grandes cités. Venelles serpentées, ruelles peuplées d’un monde fou qui n’arrête pas d’ânonner les mêmes paroles et qui s’enfonce dans les lieux labyrinthiques d’une ville appelée à servir de tremplin à d’illustres écrivains qui ont assuré des balades heureuses à leurs personnages en quête d’une indéfinissable quiétude. Kateb Yacine, Tahar Ouettar Malek Haddad, Jamal Ali Khodja et Ahlem Mostaghanemi envoyèrent leurs « rejetons », humer les senteurs et l’encens étouffant de cette ville qui semble, à travers ses ponts, suspendus comme autant de guillotines et paradoxalement de raisons d’espérer, investir la poésie d’une aura tragique. Le drame n’est pas loin dans ce lieu qui conjugue les senteurs mythiques d’un passé cyclique à une forme géométrique donnant à voir les charmes paradoxaux de l’étouffement. Ainsi, les conflits se multiplient. Les désaccords ont toujours marqué les espaces lancinants de territoires égarés dans les effluves interstitielles de paroles rattrapées par une grogne qui ne ménage pas les lieux disséminés d’une géographie difficile à dompter. Le mouvement associatif s’insurge contre des « pratiques » néfastes : dilapidation de fonds publics, mauvaise gestion…

Mais Constantine n’a pas fini de connaître d’innombrables lézardes depuis déjà longtemps. Des esprits, quelque peu bien tournés, décident au début des années quatre-vingt de raser deux grands centres (le Casino et la ville) qui faisaient la fierté de la ville. Situés en plein centre ville, du côté de la Brèche, ces deux ensembles disparurent pour donner naissance à un petit jardin, riant de cette démesure qui caractérisent les choses. Et la vie poursuit son chemin sinueux du côté de Rahbat Lejmel où dialoguent la gargote et les corps numérotés qui ne se soucient guère de pois-chiche « double zit », mais de ces gens-là venant de partout célébrant une transe paradoxale.

Les souvenirs se succèdent et assomment encore plus cette ville qui, malgré ses usines de tracteurs et de grues (CIMOTRA et CPG) et son université qui surplombe la cité, vit un quotidien quelque peu monocorde. Les rideaux tombent à dix-neuf-vingt heures, laissant le soin en été à quelques crémeries, du côté de la Brèche, de recevoir les clients attardés qui ne peuvent plus bénéficier des rencontres culturelles et des soirées cinématographiques qu’offraient de temps à autre la cinémathèque et les centres culturels. Les étudiants avaient pignon sur lieux de loisirs et de divertissement. Aujourd’hui, les choses changent. Même les animateurs attitrés de ces joutes ne sont plus là ou se font trop discrets. Ainsi, l’université qui organisait des colloques et des séminaires réguliers se trouve marquée par une certaine aphonie. La fadeur gagne ces territoires devenus silencieux et peu bavards ponctués par un cataclysme qui donna à la ville un petit air d’insurrection en 1986. Ce fut un petit remake des événements d’Octobre 88. Les jeunes étudiants et des chômeurs étaient sortis dans la rue, manifestant leur colère.

Tout le monde se disait à l’époque que ce n’était pas sans raison que cette ville qui commençait sérieusement à étouffer sous le poids du chômage et de l’insouciance venait d’exploser. La césure s’amplifiant ne pouvait que masquer ces senteurs innocentes qui affectaient cette cité encore et toujours en quête d’une identité perdue, malgré l’élargissement concédé à des cités-dortoirs comme Ziadia et la Bum par exemple qui allaient donner à la ville une autre couleur. Les césures se succèdent aux blessures dans cette cité qui a toujours vu les jeunes se regrouper du côté de la Pyramide, cherchant à satisfaire leurs regards et les « intellos » se donner rendez-vous à Saint-Jean, à défaut du théâtre, aujourd’hui fermé pour rénovation. Les espaces sont bien tracés. Chacun choisit sa « surface ».

Des « amitiés » que la joie des supporters de cette association un peu spéciale qui vit le jour à la fin du dix-neuvième siècle, le CSC, surclassent. L’accession tant souhaitée de ce club serait trop bien fêtée par des supporters souvent assimilés à des hooligans, mais qui n’hésitent pas à inventer des formules et des expressions extraordinaires mettant en accusation leurs adversaires ou prétendus tels. Mais ils sont aussi capables de s’attaquer à des oiseaux qui ont eu le malheur de survoler le stade au moment de l’échec du CSC. Ainsi, les supporters du CSC sont considérés comme les habitants des quartiers populaires (Oued el Had, Aouinet el Foul…)alors que ceux du MOC habiteraient les quartiers huppés de la ville comme Sidi Mabrouk par exemple. La configuration de la ville marquée par l’étroitesse de ses rues (Nouvelle rue, ex-Rue de France…) étouffe le visiteur qui ne trouve pas de grands espaces pour se mouvoir dans ce cercle constitué de sept ponts qui accentuent l’angoisse comme ces passerelles squelettiques érigées en plein centre-ville avant d’être supprimées.

La ville, dialoguant imperturbablement avec les senteurs coquines du jour, interpelle ces ponts qui ont vu le vieux Boulerouah d’Ezilzel clignant de l’œil du côté de Lakhdar de Kateb Yacine, ce héros majeur qui porte en lui les signes d’une Histoire longtemps réinventée. Difficilement assumée.

Par Ahmed CHENIKI



02/08/2013
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