CHAOUKI-LI-QACENTINA

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l’Algérie dans la préhistoire au musée du Bardo

Parents éloignés

 

Le Musée de préhistoire et d’ethnographie du Bardo d’Alger nous offre une belle opportunité de découvrir le riche potentiel archéologique du pays à travers une exposition originale

Regroupant les résultats de fouilles menées par des chercheurs algériens durant les dernières décennies. Intitulée «L’Algérie dans la préhistoire, recherches et découvertes récentes», cette exposition projette le visiteur aux confins de l’ère paléolithique.

Cette exposition, inaugurée le 15 mars dernier, met à l’honneur les chercheurs algériens en dévoilant leurs trouvailles au grand public. On peut citer les professeurs Mohamed Sahnouni, Abdelkader Derradji, Mohamed Medig et Ginette Aumassip qui ont activement collaboré avec le musée pour cette salutaire initiative de vulgarisation scientifique. On y trouve les découvertes et résultats de leurs recherches respectives qui sont venus enrichir le fonds préhistorique du Bardo. «Le champ de la recherche préhistorique algérien a enregistré ces dernières années de grandes découvertes archéologiques.

Des fouilles conduites par des archéologues algériens ont permis de faire des découvertes significatives, le matériel collecté et étudié a donné lieu à des publications riches en informations sur les anciennes cultures de notre pays», lit-on dans la présentation. L’exposition est née de la collaboration entre le Musée et l’Université, plus précisément le Laboratoire de préhistoire de l’Institut d’archéologie.

La scénographie (réalisée par Bassma Design) nous met dans l’ambiance des fouilles avec de grandes photos des sites tapissant les murs. Une échelle de temps nous permet de mesurer la temporalité archéologique avec des fossiles qui remontent à plus d’un million d’années. C’est le cas du site de Aïn El Hanech (Sétif) qui remonte à 1,8 millions d’années. Découvert en 1947, ce site révèle un potentiel important qui en fait un véritable «complexe archéologique».

Des fossiles d’animaux sont exposés, à l’image des rhinocéros ou des hippopotames «qui mesuraient pas moins de 4m30 !», nous apprend l’archéologue Naïm Touil employé du musée, avant d’ajouter que le site comprend des traces de l’activité humaine mais pas de fossiles d’hominidés découverts à ce jour.

En effet, parmi les objets exposés, on trouve des pierres polies servant à découper la viande ou encore des os comportant des traces de découpe. Cette «technologie» de la pierre polie et ses évolutions est au cœur de l’exposition.

Un biface monumental accueille d’ailleurs le visiteur dès son arrivée. Des bifaces, on en trouve également parmi les objets découverts à Mostaganem dans les sites d’Errayah (1 million d’années) et d’Ouled el Hadj (150 000 ans). La technique de taille devient plus sophistiquée et la simple pierre fendue devient, petit à petit, une arme redoutable et un ustensile indispensable de la vie quotidienne de ces lointains ancêtres…

Les différents usages peuvent notamment être éclairés par une analyse au microscope électronique à balayage permettant de retrouver des traces des viandes ou autres denrées découpées par ces outils. «Ce sont de véritables enquêtes qui sont menées pour découvrir les usages des outils ou la signification des dessins découverts. On fait appel aux nouvelles technologies mais aussi à la déduction et à l’analogie avec d’autres sites ou avec des pratiques qui perdurent chez certaines populations», explique Naïm Touil. 

L’exposition nous permet également d’admirer quelques reproductions des restes du fameux «homme de Tighennif» qui affiche l’âge vénérable de 700 000 ans, se classant ainsi en doyen de l’humanité en Afrique du Nord. Aussi appelé «Homme de Palikao», les restes de cet homo erectus ont été trouvés à 20 km de Mascara. Il est également appelé Atlanthrope, ou homme de l’Atlas. Les recherches menées plus récemment sous la direction du Pr Sahnouni ont permis de découvrir des ossements et dents d’animaux qui pourraient remonter à plus d’un million d’années. Preuve que nos sites archéologiques n’ont pas encore dévoilé tous leurs secrets… Cap à l’est avec une salle aménagée en forme de grotte et abritant justement les résultats des fouilles menées dans les grottes de Taza à Jijel. On y trouve des meules et des outils ciselés dans des ossements d’animaux.

A 14 000 ans, nous sommes devant les vestiges de la culture ibéromaurusienne. Les fouilles menées depuis 1987 par des archéologues de l’Université d’Alger ont donné leurs fruits et permis de documenter l’occupation humaine et les systèmes d’habitat dans ces grottes. Parmi les pièces exposées, on peut admirer par exemple un crâne d’homo sapiens qui a permis de tirer le portrait de la «Femme de Taza».

Enfin, l’exposition se clôt par des vestiges du site de Tih Hanakaten près de Djanet dans le Tassili N’ajjer. La complexité des outils atteint ici un certain raffinement avec des lames minuscules, de la vannerie, de la poterie et même des sculptures en terre cuite représentant des figures humaines ou animales.

Soucieux de plonger le visiteur dans le travail de l’archéologue, les organisateurs ont eu la bonne idée d’exposer le carnet de notes de terrain de Ginette Aumassip durant les fouilles menées sur ce site-phare du néolithique, connu pour ses ossements qui témoignent de rites funéraires complexes ainsi que ses peintures rupestres laissées par les artistes de cette période.

Ce circuit dans le passé très lointain de l’Algérie se continue par une salle dédiée au jeune public avec des reproductions d’outils et de sculptures que les enfants peuvent manipuler librement. Des ateliers ont été également organisés durant les vacances (lundi, mardi et mercredi). Les enfants venus en grand nombre se sont ainsi initiés à l’écriture Tifinagh, à l’art rupestre ou encore à la fabrication de bijoux préhistoriques…

Il faut saluer par ailleurs l’effort fourni, en collaboration avec le ministère de la Solidarité nationale, pour faciliter l’accès et le déplacement aux personnes à mobilité réduite ainsi que les textes en brailles mis à la disposition des non-voyants et complétés par des reproductions de certains objets exposés permettant un contact tactile à même de suppléer à l’aspect visuel.

Cette exposition, qui durera jusqu’à la fin de l’année en cours, semble marquer un nouveau souffle pour le musée du Bardo avec une volonté affichée de renforcer la collaboration avec les institutions scientifiques et la communauté scientifique. «Cette exposition marque la plus grande acquisition récente du musée du Bardo en matière de préhistoire, déclare Madame Fatima Azzoug, directrice du musée. Notre fonds s’enrichit ainsi de plus de 260 nouvelles pièces archéologiques.

On collabore avec l’Institut d’archéologie qui nous envoie les étudiants en formation pour travailler sur les pièces de nos collections. De plus, beaucoup de diplômés sont recrutés par le musée. Mais l’exposition actuelle est la première initiative d’envergure en collaboration avec l’Institut de recherche en archéologie. Notre vocation est de faire le lien entre la recherche scientifique et le grand public. Nous travaillons aussi et surtout à conserver les pièces dans les meilleures conditions possibles pour prolonger au maximum leur durée de vie».

Bardo : Prestige et projets

Avant de devenir musée, le Bardo est d’abord une somptueuse demeure entourée d’un beau djenane (jardin) situé dans la campagne d’Alger durant la régence ottomane. Sa construction daterait du XVIIe siècle et sa décoration s’est enrichie au fil du temps et des propriétaires successifs.

Devenu musée d’ethnographie et de préhistoire à partir de 1926, cette institution abrite une collection d’ethnographie représentative de la culture et des traditions algériennes ainsi que de précieuses pièces archéologiques. En 1985, le Bardo est institué «Musée national» avant de profiter d’une inscription à une vaste opération de restauration en 1994.

C’est en 2006 que commence la restauration à proprement parler entre mesures de sauvegarde d’urgence et reconstruction en utilisant en partie les matériaux originels de la bâtisse.

La collection liée à la préhistoire renferme des pièces importantes, à l’image du squelette et du «trésor de Tin Hinan». Pour l’ethnographie, les collections concernent non seulement les traditions en Algérie mais aussi dans le Maghreb et le monde arabe. Le Bardo possède aussi une belle collection d’art africain (masques, statuaires, bijoux…) «dont une partie a été collectée par l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza», précise Mme Azzoug.

La directrice du musée ajoute que les collections continuent à s’enrichir par le biais de donations, d’acquisitions ainsi que par des enquêtes ethnographiques dans tout le pays. «Il nous reste à faire un travail de sensibilisation pour amener les citoyens à apporter leurs objets, note-t-elle. Il nous arrive également d’acheter les pièces, mais il faut savoir que cela prend du temps, nous devons passer par une commission interministérielle. Pour la préhistoire, on ne peut pas acheter des objets auprès des particuliers. Il existe toutefois une ‘'prime de découvreur’' qui récompense l’auteur de la découverte».

Situé en plein centre d’Alger, le musée du Bardo attire un nombre appréciable de visiteurs de tous horizons, notamment des groupes scolaires et des visiteurs étrangers. «Les pics de fréquentation ont été enregistrés en 2009 pour voir ‘'Lucy’' (exposée durant le Festival panafricain) et puis durant les ‘'Nuits du musée'’ en 2014 et 2015. Les concerts et animations pendant le Ramadhan ont amené un nouveau public, notamment les jeunes. Des files d’attente se formaient devant le musée tous les soirs, raconte la directrice. En 2015, nous avons eu 17 500 visiteurs pendant le Ramadhan !». A noter que le nombre de visiteurs est de 22 627 sur l’ensemble de l’année 2015. L’expérience des Nuits du Ramadhan, menée en collaboration avec une agence privée d’événementiel, ne sera pas reconduite cette année. D’autres projets sont annoncés pour l’année en cours.

D’abord, le réaménagement du jardin qui vient prolonger la restauration du musée. «Le visiteur aura plus de confort avec des espaces gagnés et pourra profiter pleinement du beau jardin qui entoure le musée. Le circuit sera enrichi par des espaces de détente. La sécurité sera aussi renforcée au niveau de tous les espaces, notamment l’extérieur», précise la directrice.

Enfin, un projet de scénographie est en cours pour la future exposition permanente. L’étude sera finalisée dans les prochains mois et la mise en place débutera fin 2016. Cela permettra de mettre en valeur les collections du musée et de profiter des toutes les salles de la bâtisse pour exposer les pièces dans une mise en scène vivante et moderne.

«L’exposition actuelle est une sorte de test pour la future expo permanente. Un questionnaire sera distribué au public pour avoir un retour sur cette expérience», nous apprend la directrice. L’expo «L’Algérie dans la préhistoire» est donc un avant-goût de la grande exposition permanente qui restera en place pour au moins dix ans.

 W. B.

El Watan



02/04/2016
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