CHAOUKI-LI-QACENTINA

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Naissance d’un prodige

Rabah Bitat, un Homme, une Histoire

 

C’est dans l’Est algérien, plus précisément à Aïn EL Kerma (aujourd’hui Messaoud Boudjeriou), Mila, Ferdjioua, El Milia, Sidi Maarouf et Constantine que la grande famille des Bitat est implantée le plus, depuis déjà plusieurs générations. Un nom connu en Algérie sous le pseudonyme de «Labiata» pour désigner la communauté de cette grande famille.

Les généalogistes, pour tisser une toile patronymique autour de ce nom, remontent à l’Empire ottoman fondé au tout début du XIVe siècle par la tribu turque des kayt. Un empire important qui marqua son époque grâce à sa civilisation progressive. Une empreinte culturelle dans les Balkans, l’Arabie et le nord-est de l’Afrique, nous révèle le passage d’hommes dans ces régions qui ont conservé leurs noms. Sommes-nous descendants de cette dynastie, sachant que les Turcs ont conquis Alger et Constantine dès le début du XVIe siècle ? Beaucoup d’interrogations pour ce nom «Bitat» qu’on retrouve chez plusieurs familles turques, algériennes et françaises. En France, par exemple, on retrouve ce nom dans plusieurs départements français.

Ce nom est classé au 961186e rang des noms de famille en France. Ce nom existe depuis 1715, notamment en Seine-et-Marne et en Île-de-France. Rabah Bitat n’est ni Turc ni Français et il était fier d’appartenir à une famille modeste algérienne. Fils de Mustapha, il est né un 19 décembre 1925 à Aïn El Kerma.

Famille paysanne, les Bitat ont toujours travaillé la terre, une terre fertile réputée pour son blé dur de qualité. Les Bitat étaient, également, des commerçants qui se déplaçaient de ville en ville pour vendre leurs produits, surtout agricoles (blé, orge, agrumes...), et acheter les produits alimentaires et autres dont ils avaient besoin.

Cette commune de Constantine, appelée autrefois Tadjmoult, était le grenier du Constantinois. Mais voilà, les colons français sont arrivés et se sont approprié toutes les terres arables de la région. C’est alors que les paysans arabes, dépossédés de leurs terres, deviennent des esclaves, des khammès. Beaucoup ont préféré quitter ce village, refusant leur nouveau statut. Ils viendront s’installer à Constantine.
Les fermes des colons encore debout témoignent de la puissance de ces terriens. Mon père Mahmoud a appris de son père Amor que ces milliers d’hectares, appartenant au colon Raoul, ont été achetés à seulement 4000 francs français.
A Constantine, la famille Bitat s’est installée dans les quartiers arabes de Rahbet Essouf et Sidi Djliss. La placette de Sidi Djliss, toujours vivante, nous raconte l’enfance et le passé d’un petit Algérien surnommé Salah qui deviendra le bourreau de cet envahisseur français qui les a chassés de leurs terres. En 1927, le père Mustapha s’installera à Sidi Djliss où il occupera, lui et sa famille, une pièce dans un Medjless. Le petit Rabah n’avait que deux ans.

Pour faire vivre sa famille, le père Mustapha souffre chaque jour pour trouver une activité et gagner quelques sous. Par ces temps, tout est dur et n’importe quel bricolage ne se refuse pas. Comme tous les Algériens, on est marchand de légumes, manœuvre, ouvrier, colporteur... Juste après la Seconde Guerre mondiale, le père Mustapha travailla aux Silos agricoles de Bab El Kantara en compagnie de mon père Mahmoud qui, lui, était pointeur.

A six ans, Rabah Bitat est scolarisé à Jules-Ferry, aujourd’hui collège Ould Ali. Adolescent, il quitte cette école avec un certificat de fin d’études. C’est sur cette placette symbolique que tout le voisinage s’y rend quotidiennement pour s’abreuver à sa fontaine ; une fontaine publique très appréciée par les Constantinois. On y vient de partout pour boire son eau, se désaltérer, apaiser sa soif. On raconte que ceux qui avaient faim venaient boire de cette eau pure qui les rassasie aussitôt. Cette fontaine, placée au milieu de la placette, a purifié le cœur de ses enfants devenus patriotes.

Cette placette est renommée aussi pour son petit commerce traditionnel. On y vient chaque jour pour acheter, vendre ou faire du troc de produits laitiers : lait, lait caillé, petit lait, beurre, fromage mais aussi dattes, miel... C’est une placette aussi réputée par sa dinanderie et le martelage du cuivre pour la fabrication d’ustensiles traditionnels. Les coups répétés et cadencés par le maillet sur le métal ne produisent pas un chant désagréable et agaçant que le voisinage condamne mais plutôt une mélodie agréable qui rythme le quotidien de ces pauvres citoyens arabes. Que deviendrait la placette sans ce chant ? Le calme certainement viendrait briser l’harmonie de cette vie modeste. La Révolution fait partie de cette placette.

C’est autour de cette fontaine que des hommes se sont réunis pour décider de l’avenir du pays. C’est de là, qu’une campagne de propagande a démarré pour recruter de jeunes gens déterminés à en finir avec l’injustice. Pour l’anecdote, après l’indépendance et à chaque fois qu’il venait à Constantine pour une visite familiale, Rabah Bitat faisait le tour de la ville en se rendant dans ses quartiers d’enfance pour revivre ne serait-ce qu’un court instant le bonheur de cette fontaine en priant pour les martyrs, pour son frère Maâmar. Cette placette porte son nom : placette Maâmar Bitat. Rabah Bitat est là, pour remercier Dieu, le Tout-Puissant pour Sa Miséricorde Divine. Son vœu a été exaucé. En un mot, sa vie est tout un roman. Il décédera le 10 avril 2000 à l’hôpital Broussais, à Paris, et repose au cimetière El Alia, à Alger. Invoquons Dieu et implorons Son pardon pour le défunt. «Ceux qui sont venus après eux disent : ‘‘Seigneur, pardonne-nous ainsi qu’à nos frères qui nous ont précédé dans la foi et fais que nos cœurs n’aient jamais de haine envers les croyants, Seigneur, Tu es Tout Compatissant et Tout Miséricordieux’’.» (Sourate 59, verset 10).

Rabah Bitat, un personnage mystique et un parcours de guerre exceptionnel


C’est un homme désormais historique. Il est membre fondateur du FLN avec ses compagnons, il met en place le mécanisme du déclenchement de la guerre de Libération à partir du 1er  Novembre 1954.

Dès son jeune âge, et encore adolescent, il milite au PPA, puis au MTLD, à l’OS, au CRUA et, enfin, au FLN. Très jeune, il a acquis une grande expérience politique qui lui a permis de s’imposer sur la scène nationale. On le nomme «le sage». Très respecté au sein du groupe révolutionnaire, il parvient à convaincre les plus récalcitrants. Il fait partie des 5 grands chefs révolutionnaires qui ont décidé de lancer la lutte armée. Ils sont 5 au départ, puis 6 et 21 et 22... et ce sont des milliers d’Algériens qui se sont engagés pour mettre fin à l’injustice coloniale.
Rabah Bitat était membre du Conseil national de la Révolution algérienne. Il était, également, membre du Comité de coordination et d’exécution. Il est aussi le premier chef de la Zone IV. Il est respectivement ministre d’Etat et ministre du gouvernement chargé des Transports. Il a présidé la République algérienne en décembre 1978 jusqu’à février 1979 et terminé sa carrière politique comme président de l’APN de 1977 à 1990.

Quel est son parcours ? Peut-on croire à ce destin réservé aux grands hommes qui font l’histoire de leurs peuples ? Oui. Adolescent, il adhère au PPA et devient un militant très actif dans la ville de Constantine. Grâce à son dynamisme, il a vite été repéré par d’autres hommes qui partagent avec lui, les mêmes idéaux. Confiant, il se lance dans la propagande. Il réussit, cependant, à convaincre et à recruter des dizaines de musulmans qui deviendront, à leur tour, très actifs et de fervents défenseurs de la cause nationale. Rabah Bitat avait à peine 16 ans quand il a adhéré, en 1942, au PPA. Depuis, il s’intéresse à la politique et suit dans la clandestinité la politique menée par les grands leaders en ces temps, en l’occurrence, la politique de Messali Hadj et Ferhat Abbas. Il va, cependant, s’illustrer puis s’imposer comme un grand grâce à ses idées révolutionnaires et à son savoir-faire. Il sait prendre la bonne décision au bon moment et sait également organiser son emploi du temps.

C’est un meneur d’hommes qui fonce sans peur. Il a appris à encaisser des coups et à en donner quand c’est utile. Considéré comme pragmatique par ses proches, il sait faire la part des choses et ne s’aventure jamais à l’aveuglette. Il respecte ses amis et sait se faire respecter. Son objectif premier, c’est l’indépendance du pays. Et, il s’est sacrifié pour cette indépendance si chère à tous les Algériens. Le sacrifice et la patience sont ses cartes maîtresses, des atouts qui ont fait de lui un homme d’exception.
A Constantine, dans les quartiers où il a grandi (Sidi Djliss, Rahbet Essouf, Souika, 40 Cherif, Souk El Asser, Aouinet El Foul...), tous les Constantinois musulmans lui font confiance, le suivent et l’admirent pour sa bravoure et son patriotisme. Tous savent que ce jeune homme est exceptionnel et qu’avec lui, les choses vont changer. Après le PPA, il suit la seule voie politique de Messali Hadj et adhère tout naturellement au MTLD.

Mais avec le temps, il découvre que cette politique est trop molle, voire trop conciliante pour pouvoir ébranler un pays colonisateur aussi puissant que la France. Il est même convaincu que la France ne négociera jamais l’Algérie, considérée comme l’un de ses départements. Il en a la conviction suite aux massacres du 8 Mai 1945, dont il était l’un des inspirateurs de cette manifestation pacifique qui, hélas, se termine par un drame.

Il finit par se démarquer des centralistes et crée avec son groupe l’OS. Cette organisation va donner un élan appréciable à sa politique et va secouer sérieusement les camps de Messali Hadj et Ferhat Abbas. Rabah Bitat devient alors un élément essentiel, une clé de réussite, un symbole de la Révolution. Le phénomène a grandi, celui de mener une guerre armée, et ce sont toutes les régions d’Algérie qui y croient. Et ce sont des hommes et des femmes aussi déterminés qui vont adhérer à l’OS, au CRUA et enfin au FLN pour accélérer la Révolution. Le réseau s’est constitué grâce à une très bonne organisation de ces hommes qui, dans la discrétion, ont réussi à rassembler des milliers de militants prêts pour le combat.

Tout a été planifié pour réussir cette Révolution. Tout a été envisagé même une formation militaire pour les engagés. Parmi les bâtisseurs de cette entreprise guerrière, citons Mohamed Belouizded et Aït Ahmed Hocine qui sont des exemples à méditer. Ce sont des leaders qui ont prévu dans les objectifs du groupe, un programme de guerre où tout Algérien doit s’initier au métier de soldat. Tout a été tracé par ces hommes et rien n’a été laissé au hasard.

Le recrutement s’est fait dans les villes, villages et douars, et chaque région avait ses responsables qui veillaient au bon déroulement des opérations menées sur le terrain.

La période allant de 1945 à 1954 a vu la restructuration et l’unification d’un parti unique qui est le FLN. Une branche radicale qui va unir des hommes comme Rabah Bitat, Didouche Mourad, Mohamed Boudiaf, Larbi Ben M’hidi, Mustapha Ben Boulaïd, Souidani Boudjemâa, Lakhdar Bentobbal, Abdelhafid Boussouf et bien d’autres. La police française, qui était au courant des activités de Rabah Bitat, n’a pas réussi à le capturer. Il est alors condamné par contumace à l’emprisonnement par les autorités judiciaires de Bône (Annaba) et d’Alger. Pour échapper à l’arrestation qui, certainement, si elle venait à se concrétiser, entraverait la bonne marche de la Révolution, il devait, donc à chaque fois, se déplacer d’une ville à une autre, d’une région à une autre, d’un maquis à un autre... avec la complicité des fidèles de la Révolution.
Il a connu pratiquement tous les coins du grand massif montagneux des Aurès, et c’est dans ces montagnes hostiles qu’il retrouve quelques autres compagnons qui vivent la même situation que lui, tels que Lakhdar Bentobbal, Abdeslem Habachi, Slimane Barkat... C’est dans les Aurès qu’il a consolidé son apprentissage de guerrier. Infatigable et toujours prêt pour le combat, il n’hésite pas à se sacrifier en prenant de gros risques. Il se déplace constamment pour retrouver ses compagnons et pour chaque rencontre, c’est une nouvelle coordination de travail qui consolide leur amitié. C’est ainsi qu’il rejoint Alger pour rencontrer Larbi Ben M’hidi et Aïssa Kechida. D’Alger, il repart à Constantine, puis c’est à Oran qu’il organise un réseau d’actions pour l’Oranie. Pour la bonne cause, il accepte toutes les missions. Il reste en contact avec Larbi Ben M’hidi, Benabdelmalek Ramdane et Didouche Mourad. A Oran, il prend part à l’attaque de la poste, en 1951, et se voit à nouveau condamné à dix ans de prison par contumace.

Dans cette région de l’ouest du pays, ses déplacements déroutent une police française qui n’arrive pas à le localiser. Sa mission, entre autres, est de rencontrer des militants, de les informer mais aussi de les préparer à la lutte armée. En 1953, il est responsable des communes de Médéa et de Aïn Témouchent. C’est un combat de longue haleine, pénible et périlleux. Une mission qui consiste à renouveler la confiance du groupe des militants, à les responsabiliser et à les pousser à agir intelligemment sans se faire prendre. Il faut à chaque fois reconstruire ce qui a été détruit par l’armée française. Rabah Bitat a su préparer le terrain et a su, également, convaincre psychologiquement des hommes qui avaient besoin d’un soutien psychologique.

Les autorités françaises disposent d’un réseau de renseignement efficace. Un réseau composé d’agents, surtout musulmans, qui fournissent régulièrement des renseignements sur tel ou tel individu. Le général de Gaulle dira, à ce sujet, dans l’une de ses allocutions : «Rien de ce qui concerne l’occupant n’échappe à nos réseaux.» Ce général a employé tous les moyens pour faire échouer la Révolution algérienne : l’espionnage, le terrorisme, la torture... Ce sont des arrestations de plus en plus importantes de militants qui se constituent et qui vont gêner, voire freiner une machine prête à se lancer dans le champ.
Dans sa folie, la France exécute tout indigène adulte portant un burnous ou un chèche. Tout habitant non européen est un ennemi potentiel qu’il faut éliminer avant qu’il ne vous élimine. C’est comme cela que des milliers de musulmans innocents ont été assassinés de sang- froid. Conscients, les leaders vont accélérer la manœuvre. Ils vont prendre un gros risque en s’attaquant à un obstacle indestructible. En avril 1954, la Révolution se concerte et crée le CRUA et comme c’est urgent, on crée le FLN. Le mouvement insurrectionnel est, enfin, mis sur les rails et la lutte armée est imminente.

C’est un plan d’actions établi par les cinq grands chefs (Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf, Didouche Mourad, Larbi Ben M’hidi Mustapha Ben Boulaïd), un plan connu uniquement par ces cinq qui vont déclencher la guerre d’Algérie. Les Cinq se réunissent le 25 juin 1954, c’est-à-dire cinq mois avant la date fatidique du 1er Novembre de la même année, dans la maison de Lyès Derriche, à El Madania (ex-Clos Salembier).
Dans l’Organisation secrète, il y a le mot secret, un secret que le groupe a su jalousement garder et que les autorités françaises, pourtant sûres d’elles, n’ont pas réussi cette fois-ci à démasquer. Cette réunion historique, clé d’une grande réussite, va changer le décor d’un peuple dominé qui va se rebeller contre son oppresseur pour le chasser à jamais.

Ces hommes, volontaires à souhait, vont se sacrifier en accomplissant exactement ce qu’ils se sont promis. Ils sont aussi patients et leur union a fait d’eux une force indestructible.

C’est ainsi qu’ils ont réussi à déjouer tous les plans de leur ennemi. L’histoire ne cesse de parler de ce secret qui est resté intact durant des mois et qui a fait par la suite, de la police française, la risée de toutes les polices du monde. C’est l’Organisation secrète qui a triomphé et qui est devenue un symbole de la Révolution. Une Révolution qui aboutira à l’indépendance en 1962 après tant de souffrances. Rabah Bitat, homme précieux et incontournable de La Révolution algérienne, prend part à la réunion du 23 octobre 1954 au domicile de Mourad Boukechoura au 24, avenue Bachir Bedidi (ex-rue Comte Guillot) à la Pointe Pescade (Raïs Hamidou) pour fixer justement cette date historique du 1er Novembre 1954. Il sera à partir de cette date, le premier responsable pour l’Algérois, le premier chef de la Zone IV et le premier dirigeant de toute cette région.

Il va diriger courageusement ce territoire militaire avec très peu de moyens. Pour ses compagnons, il demeure la clé de cette Révolution qui va, d’ailleurs, donner naissance à de valeureux combattants, lesquels seront une relève sûre. Après son arrestation, cette relève va se distinguer sur tous les fronts en affolant le colonialisme. Citons nos courageux combattants : Si M’hamed Bougara, Si Mohamed Bounaâma, Amar Ouamrane, Si Hassan, Mohamed Berrouaghia, Si Sadek, Lakhdar Bouregâa, Si Salah, Omar Oussedik, Tayeb Djoughlali, Ali la Pointe, Si Lakhdar, Boudjemâa Souidani, Youcef Benkherouf, Zendari... et la liste est encore très longue.

Rabah Bitat, dit Si Mohamed, organise la guérilla urbaine dans tout l’Algérois. La plupart de ses missions sont suicidaires et c’est sans peur qu’il affronte avec ses compagnons l’ennemi. La mort ne lui fait pas peur. Il sait qu’il va mourir et, pourtant même la mort, peut-être par respect, le fuit. Lors de son arrestation, il tente de se suicider en avalant un comprimé de cyanure mais les agents de police qui l’ont arrêté lui font avorter sa tentative.

Avant son arrestation, il mène la vie dure à l’armée française, notamment à Alger et dans la Mitidja, Blida, Boufarik... A Blida, avec Souidani Boudjemâa et Ahmed Bouchaïb, le commando mené par Rabah Bitat attaque la caserne Bizot qui est prise d’assaut. Les dégâts et les pertes en vies humaines sont importants. Le groupe se replie après cette opération rapide sur les hauteurs de Chréa. Il a, certes, remporté une victoire mais il sait que la guerre ne fait que commencer.

Comme à l’accoutumée, il parle peu et travaille beaucoup. Il se recroqueville dans un mutisme pour méditer la mémoire de ses compagnons qui sont morts en martyrs dans cette bataille.
C’est à partir de ces montagnes qu’une coordination s’est organisée avec le groupe d’Ouamrane et de Souidani Boudjemâa. Pour ce début de la Révolution, la Zone III kabyle et la Zone d’Alger sont très solidaires. Alger de Rabah Bitat se prépare à devenir un foyer principal de l’activité politique insurrectionnelle et se prépare aussi à devenir la capitale d’une Algérie libre et indépendante. Malheureusement, le combattant qui a mis le feu à la poudrière n’a pu continuer sa guerre et c’est bien triste pour lui, car il a sincèrement souhaité mourir en martyr. On sait, qu’après 5 mois de lutte armée, il a été arrêté dans des conditions suspectes et étranges, au café Ben Nouhi, rue de la Lyre, dans un quartier de La Casbah.

De prison en prison, il va énormément souffrir. Il est interrogé sous la torture à la «fredo», puis écroué à la prison Barberousse et par la suite transféré à la prison de Maison-Carrée à El Harrach. Il est ballotté de pénitencier à un autre pour ne pas permettre aux moudjahidine d’organiser son évasion. Il finit par être condamné aux travaux forcés à perpétuité. Son arrestation n’a pas empêché la Révolution de se poursuivre. Bien au contraire, elle s’est organisée davantage et est devenue plus efficace avec le temps. Yacef Saâdi, qui a été recruté par Rabah Bitat, a réalisé un travail extraordinaire sous le commandement de Larbi Ben M’hidi. Pour répondre à la terreur de l’armée française qui utilisait, faut-il le rappeler, des bombes pour semer le doute au sein de la communauté musulmane, il va recruter des jeunes filles algériennes pour placer des bombes cette fois-ci dans les quartiers européens.

Ce sont des jeunes filles courageuses et déterminées à se sacrifier pour la bonne cause. Aussi déterminées que leurs frères de combat, elles vont semer la terreur dans Alger et ses environs.
Zohra Drif, qui deviendra, une fois l’Algérie indépendante, l’épouse de Rabah Bitat, fait partie de ces héroïnes de la guerre de Libération nationale. Dans son ouvrage, Mémoire d’une combattante de l’ALN, Zone autonome d’Alger, Zohra Drif raconte son histoire et celles de ses amies, qui se sont toutes sacrifiées pour notre liberté. Dans le chapitre V, Dans La Casbah, au cœur de la résistance, elle cite Yacef Saâdi et Amar Ali ainsi que Hassiba Ben Bouali, Bouhired Djamila et sa rencontre avec Ben M’hidi. Elle relate une vérité et des souffrances endurées par tout un peuple. Ce sont ces mêmes atrocités endurées aux quatre coins du pays qui sont relatées par l’histoire d’une Algérie rebelle qui a dit non au colonialisme français et à sa politique barbare.

Rabah Bitat, figure emblématique, demeure une icône pour tous les combattants en lutte. Il reste vivant dans tout esprit rêvant d’une indépendance et d’une gouvernance algérienne et musulmane. C’est lors du congrès de la Soummam, le 20 août 1956, que le CNRA place ses leaders aux premières loges. C’est avec beaucoup de respect et d’égard que les congressistes honorent leurs compagnons de lutte. Cette marque de confiance va propulser la Révolution vers une victoire certaine. Ce Conseil national de la Révolution algérienne sera considéré comme la seule instance législative de la Révolution. Rabah Bitat a été désigné, en 1957, membre du CCE (Comité de coordination et d’exécution).

Rabah Bitat a été arrêté puis emprisonné (voir arrestation de Rabah Bitat). Transféré de prison en prison, il atterrit à Fresnes en janvier 1958. Il décide de mener une grève de la faim ; une grève qui deviendra son cheval de bataille. Opiniâtre, il résiste à la pression carcérale et poursuit sa grève. La dernière qui a duré un mois a été observée, en août 1958, à Saint Malo. Il demande justement son statut de détenu politique. Il l’obtient en fin de compte grâce à sa détermination mais aussi grâce à un soutien de ses camarades de lutte. Les autorités françaises ont appris qu’il a été désigné, le 18 septembre 1958, comme ministre d’Etat au GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) présidé, à cette époque, par Ferhat Abbas.

Au congrès de Tripoli, il est désigné membre du bureau politique du FLN. Et c’est à l’approche de l’indépendance, et plus exactement en mai 1961, que les autorités françaises, pour des raisons de sécurité, le transfèrent au château de la Tessadière, à Turquant et c’est là, qu’il retrouve ses 5 autres compagnons de lutte, qui ont été, eux, transférés à partir de l’Île d’Aix. Les 5 ont été arrêtés le 22 octobre 1956, alors qu’ils se rendaient en Tunisie. Le groupe sera à nouveau transféré au Château d’Aulnoy et c’est à partir de cette prison que tout le groupe prendra des décisions importantes partant d’une politique commune pour l’avenir d’une Algérie indépendante.


L’arrestation de Rabah Bitat

C’est parti. Nous sommes le 1er Novembre de l’année 1954. La guerre d’Algérie est bel et bien déclarée. Rabah Bitat a le commandement de l’Algérois. C’est une région sensible qui paraît intouchable, voire inviolable, car habitée par des milliers de Français. La cité européenne est bien protégée et les moudjahidine n’ont pas suffisamment de moyens pour la perturber. Théoriquement, ils n’ont aucune chance de réussir leur mission considérée par beaucoup de spécialistes de suicidaire.

Avec peu de moyens, le FLN va quand même perpétrer des attentats-suicide visant des objectifs militaires et de police. Alertées, les autorités françaises renforcent la sécurité d’Alger. Alger, qui était une ville calme, ne le sera désormais plus. Nous voyons arriver du matériel de guerre mais aussi le débarquement massif de soldats, balle au canon et prêts pour le combat. Alger ne doit pas tomber. Alger symbolise la puissance coloniale. François Mitterrand a cette vision et en tant qu’homme fort de l’Etat et ministre de l’Intérieur, il donnera carte blanche au colonel Ducourneau pour nettoyer la ville de ses rebelles. La machine de guerre se met en branle et ce sont des engins blindés, des chars, des jeeps et des camions de troupes qui patrouillent dans la région. Ce sont deux camps à la taille disproportionnée qui vont se neutraliser.

Pour ce début de guerre, des premiers mois de la Révolution, les mois de novembre et décembre 1954 sont pénibles pour les héros de la Révolution. Le réseau de la Zone lV a fonctionné mais timidement, pas comme l’a souhaité le FLN. Et c’est l’armée française qui passe à l’action en procédant anarchiquement à des contrôles, puis à des arrestations arbitraires. Tout ce qui est arabe est suspect. Le filet est tendu et c’était difficile de passer à travers ses mailles.

Tous les Arabes: hommes, femmes, enfants sont fouillés. Tous les quartiers arabes de Bab El Oued, de La Casbah et des périphéries sont aussitôt quadrillés. Tous les points de passage menant à la cité européenne sont contrôlés. La métropole prend au sérieux cette menace de guerre et n’a pas hésité à employer les grands moyens. Parmi les grands moyens mis en place, le limogeage de certains hommes politiques français et les désignations d’autres hommes politiques et militaires pour maîtriser la situation. C’est alors que Pierre Mendès France est renversé le 5 février 1955, et c’est Jaques Soustelle qui s’installe aux commandes et qui va appliquer une nouvelle politique répressive aux Algérois musulmans. L’armée ne tarde pas à mener de grandes opérations de ratissage pour étouffer le FLN qui, non seulement, ne fléchit pas, mais qui va continuer à grossir, à s’organiser et à renforcer ses rangs. Il n’en demeure pas moins qu’à Alger, l’étau se resserre autour des moudjahidine. Un étau qui rend presque impossibles tous leurs déplacements. La coordination au sein du groupe FLN fait défaut et l’information est bloquée.

Embarrassé, Rabah Bitat tente de rétablir le contact afin de redynamiser son réseau, en vain. La situation se complique pour lui, car il se sent isolé. Il réussit, cependant, à contacter son ami Krim Belkacem, chef de la Zone III pour lui venir en aide. De l’aide, il en aura mais insuffisante pour continuer à combattre. Le contact devient de plus en plus difficile et les chefs n’arrivent plus à communiquer. Le réseau s’effrite et les responsables sont arrêtés les uns après les autres

Zoubir Bouadjadj, Merzougui, Belouizded, les frères Kaci et bien d’autres militants actifs sont arrêtés et emprisonnés. Yacef Saâdi, telle une étincelle, rallume la guérilla en redonnant de la force, de l’ardeur et de la vivacité aux jeunes combattants qui commencent à perdre espoir. Yacef Saâdi va donner du fil à retordre à l’armée française.

De tentative en tentative, le FLN essaie de reconstituer un nouveau réseau. Rabah Bitat n’a pas le choix et prend beaucoup de risques pour maintenir la Révolution. Se terrer n’est pas une bonne solution. Il sent une lourde responsabilité peser sur ses épaules, car la Révolution doit se poursuivre. Homme tenace, il continue à multiplier ses contacts, notamment avec ses anciens militants de l’OS. Il réussit enfin à joindre un ami, un certain Belhadj Djilali qui, sans hésiter, lui fixe un rendez-vous.

 

Voici une opportunité qui va certainement débloquer la situation. Rabah Bitat ne sera pas seul puisque Krim Belkacem et Ouamrane devaient en principe participer à cette rencontre.
C’était un 16 mars 1955 au café Ben Nouhi. Ponctuel et habile, il se rassure que le secteur est calme et qu’aucun danger ne le guette. Il revoit Belhadj qui a tenu sa promesse. Le temps d’une discussion amicale très brève, en attendant l’arrivée de Krim et d’Ouamrane, qui tardent à venir, Rabah Bitat, inquiet, veut quitter ce lieu devenu trop bruyant mais trop tard, sa vivacité a été neutralisée par des policiers en civil qui ont accompagné le traître Belhadj. Quant à Krim et à Ouamrane, sentant peut-être le danger, ils ne sont pas venus à ce fameux rendez-vous. L’arrestation de Rabah Bitat est un coup dur pour la résistance mais qui n’a affecté aucunement le moral des troupes. Son arrestation n’est pas un échec et va motiver davantage de nouveaux militants qui sont inconnus et qui vont se distinguer sur le champ de bataille. C’est une relève assurée. Et à chaque fois que l’armée française croît que la pyramide s’est effondrée, une nouvelle se reconstitue avec de nouvelles têtes. C’est un vrai casse-tête chinois pour la police française qui doit repartir d’un point zéro pour neutraliser à nouveau une pyramide qui demeure anonyme.

Il faut souligner aussi que c’est un certain André Achiary qui est l’artisan de l’arrestation de Rabah Bitat. Cet homme, faut-il le rappeler, a participé à l’abattoir du 8 Mai 1945 et se donne à cœur joie dans sa besogne meurtrière.

A cette époque, Jaques Soustelle était son patron. Ce même André Achiary a monté par la suite un groupe clandestin anti-indépendantiste qui a mené des représailles contre le peuple algérien. Quant à Belhadj Abdelkader Djilali, c’était un agent des services secrets français infiltré dans l’organisation. Cet homme a fait beaucoup de mal à la Révolution et a réussi dans son entreprise vile à dénoncer des militants qui seront arrêtés, emprisonnés, torturés et assassinés. Grâce à lui, l’armée française a réussi à détruire des abris et à récupérer des armes. Rabah Bitat ne pouvait pas deviner qu’un homme de confiance de la trempe de Belhadj qui fut, en 1947, chef régional de l’OS et, en 1948, instructeur militaire sous le commandement d’Aït Ahmed, allait le trahir. Ce sont ces traîtres imprévisibles qui ont permis au colonialisme de résister 132 ans.

Par/Farid Bitat
Chihab Editions, 2015

El Watan

 



05/12/2015
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