CHAOUKI-LI-QACENTINA

CHAOUKI-LI-QACENTINA

Quartier populaire de Souk El Asser à Constantine

Sur les pas de Salah Bey

«La vallée se termine par un immense bloc carré formé d’un rocher à pic au sommet duquel nous apercevons confusément des maisons blanches, pressées les unes contre les autres : c’est Constantine». Louis Régis – Constantine / Voyages

A 9h du matin, la rue du 19 Juin 1965 grouille déjà de monde en cette douce journée d’été. L’ex-Rue de France, devenue piétonne depuis quelques mois, artère commerçante la plus fréquentée à Constantine, notamment par la gent féminine, est l’un des principaux accès à la place Bouhali Saïd, où se dresse le marché populaire de Souk El Asser.

Une animation peu habituelle règne à la rue des Frères Mentouri en ces jours qui précèdent le Ramadhan. Aux vieilles boutiques des commerçants de tissus se sont greffées des échoppes de cosmétiques et de prêt-à-porter pour femmes. Le commerce informel bat aussi son plein avec ces interminables et «indéracinables» étals de fortune qui proposent tout et n’importe quoi.

Arrivés sur l’ex-place Négrier, l’une des destinations phares de la population de Constantine et de ses banlieues, on est accueilli par les cris des vendeurs et les senteurs des produits étalés. La partie centrale couverte du marché qui regroupe en grande partie les carrés des marchands de légumes est très mal éclairée. Ils sont près d’une centaine de commerçants qui exercent dans cette partie du plus vieux marché de la ville, dont 75 vendeurs de légumes, 5 poissonniers, et 12 étals de fruits. A cela s’ajoutent des dizaines de vendeurs ambulants.

Les prix affichés à Souk El Asser sont imbattables à longueur d’année, même si la qualité des produits n’est pas toujours bonne. Peu importe, le lieu offre quand même l’embarras du choix pour les gens aux revenus moyens et modestes. Ammi Mahmoud qui habite la localité de Bekira, à cinq kilomètres de Constantine, est un client fidèle. «Je viens souvent faire mes courses à Souk El Asser, car cela me permet de faire des économies, et puis parfois les prix sont nettement plus bas que ceux des autres marchés de la ville», révèle-t-il.

Depuis la mise en service du téléphérique en 2008, le déplacement vers Souk El Asser est devenu plus facile pour les habitants de la banlieue nord de la ville. La station de la rue Tatache Belkacem, qui se trouve à quelques encablures seulement, est leur principal point d’atterrissage. Le week-end, le parking du quartier de Charaâ et celui situé près de l’ancienne synagogue de la Casbah n’arrivent plus à contenir autant de voitures. Toute la rue de la Belgique qui longe le lycée Redha Houhou se transforme en aire de stationnement.

Avec l’arrivée de ce beau monde qui a besoin de quoi assouvir sa faim, les gargotes et les boutiques de mahdjouba ont «poussé» dans tous les coins de Souk El Asser. Situé dans la partie nord de la ville, le quartier de Souk El Asser est délimité par le quartier de Charaâ (ancien quartier juif) à l’est, La Casbah à l’ouest et le ravin au nord. Le quartier abrite la place du marché bordée par de vieilles bâtisses aux façades décrépies, qui résistent encore au temps.

Un patrimoine historique

Du côté nord de la place, la bâtisse du lycée Rédha Houhou (ex-lycée d’Aumale) s’impose par son style architectural et son histoire. Ouvert le 1er février 1858 après l’aménagement de Dar Kissarli, acquise en 1852 par la municipalité de Constantine, située dans un coin de l’ancien Souk El Djemaâ, avant de s’étendre un peu plus bas, l’établissement est le plus ancien lycée de Constantine.

Sur le côté ouest de la place s’élève encore la fameuse mosquée Sidi El Kettani, avec sa médersa qui lui était contiguë. Historiquement, la place de Souk El Asser demeure intimement liée à Salah Bey, qui a régné sur le beylik de l’Est entre 1771 et 1792. Dans son ouvrage La ville imprenable - une histoire sociale de Constantine au XVIIIe siècle paru aux éditions Media Plus, Isabelle Grangaud note : «C’est au centre de cet espace qu’est implantée la mosquée Sidi El Kettani que tous les actes localisent à Souk El Djemaâ».

L’auteure précise : «C’est donc très tôt au début de son gouvernement, l’année même de sa nomination à la tête du beylik, que Salah Bey a fait élever cette mosquée». Elle ajoute que «le bey n’aura d’ailleurs de cesse de valoriser ce nouvel édifice, le dotant en 1789 d’un minbar en marbre de très belle qualité». Les travaux d’aménagement du nouveau quartier de Souk El Asser ont été engagés par Salah Bey vers 1774. Des maisons, un fondouk, des boutiques ont vu le jour, en plus d’une médersa construite juste à côté de la mosquée.

En moins de dix ans, un nouveau quartier a émergé. Dans son livre Constantine Voyages et séjours, paru en 1880, Louis Régis décrit les lieux : «La grande mosquée de Constantine dite mosquée de Salah Bey et dédiée à Sidi El Kettani vaut la peine d’être visitée quoi qu’elle soit toute moderne, ayant été construite par le génie militaire depuis l’occupation française. Elle est située sur le point le plus élevé de la ville qui s’appelle aujourd’hui Place du Palais de Justice et qui portait autrefois le nom de place des caravanes (…..). Trois grands bâtiments occupent le fond de la place : c’est le Palais de justice, l’université arabe et la grande mosquée».

Un lieu tombé en déchéance

La mosquée Sidi El Kettani, appelée aussi à l’époque de Salah Bey «La mosquée suprême» ou «Djamaâ El Aadam» perdra de son importance après la mort de son fondateur, exécuté en 1792 dans les conditions rapportées par les historiens. Le lieu prendra le nom de place Negrier après la prise de Constantine par les Français en 1837. Tous les biens furent intégrés dans le patrimoine public. Le site a subi aussi de nombreuses transformations.

Après l’indépendance, le lieu continue d’être une destination privilégiée pour les Constantinois, enchantés beaucoup plus par l’authenticité qui reste de ce site, connu aussi par son commerce des tissus. Malgré cette importance historique, le quartier et son marché n’ont bénéficié d’aucune réhabilitation. L’état du plus vieux marché encore en activité à Constantine n’est guère plaisant. La partie couverte s’est nettement dégradée, sans parler des saletés jetées dans tous les coins, des eaux puantes, des passages encombrés, de la chaussée effritée, poussiéreuse en été et boueuse en hiver.

C’est en somme une image qui n’est plus belle à montrer, surtout aux touristes étrangers. Les riverains et les commerçants son unanimes : Souk El Asser n’a plus la réputation d’antan. Aujourd’hui, et après des années d’abandon, c’est l’anarchie qui y règne, replongeant le site dans une désolante misère. Un projet de réhabilitation de la place de Souk El Asser avait été annoncé en 2008, dans le cadre d’un vaste plan destiné à revaloriser la vieille ville, mais il reste encore dans les tiroirs. Le plan qui a suscité tant de débats et mobilisé tant de spécialistes n’a finalement pas donné les résultats tant espérés. Même avec la manne financière dégagée à l’occasion de la manifestation culturelle de 2015, les choses sont au stade des balbutiements.  

Par/ Arslan Selmane

El Watan

 



15/07/2015
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