AUTOGRAPHE (D’El Hadj Ahmed Ben Mohammed Chérif)
El Hadj Ahmed Ben Mohammed Chérif
Dernier Bey de Constantine
Nous donnons la reproduction d'une lettre d'El Hadj Ahmed ben Mohammed Chérif, dernier bey de Constantine.
Comme on le verra par la traduction annexée, il ne s'agit que d'une simple demande d'audience formulée par le fameux bey au Gouverneur Général de l'Algérie, qui était alors, en 1850, le général d'Hautpoul.
Cette lettre doit être sinon la dernière, du moins une des dernières lettres du bey El Hadj Ahmed.
Le bey El Hadj Ahmed était petit-fils du bey turc Ahmed el Kolli et fils de Mohammed Chérif, qui avait été Khalifa du bey Hassein. Il était donc Kourourli.
Elevé dans un milieu de fonctionnaires turcs, il hérita de ses grands-pères et père et s'assimila ainsi, en raison de l'ambiantisme, de nombreuses connaissances administratives et politiques qui le portèrent naturellement vers le fonctionnarisme.
D'un caractère violent et cruel, El Hadj Ahmed eut une existence des plus mouvementées et il acquit, pendant ses onze ans de règne, d'août 1826 au 13 octobre 1837, et ses onze ans de luttes contre la France, d'octobre 1837 à juin 1848, une réputation de cruauté bien méritée.
Nous ne pensons mieux faire, pour montrer l'activité déployée pendant vingt-deux ans, par le dernier bey de Constantine, que de relater' sommairement par ordre chronologique, les événements dont il fut le principal acteur.
En 1818~ El Hadj Ahmed devint Khalifa du cruel bey de Constantine, M'hammed el Mili, dit Bou Chattabia (1).
Ce bey ayant été incarcéré par ordre du Dey d'Alger, fut remplacé par le bey Braham el Ghorbi, ancien bey de Médéa. El Hadj Ahmed continua à administrer la province de Constantine comme Khalifa, mais comme il dirigeait très despotiquement, certaines rivalités l'obligèrent à s'enfuir pour échapper à la mort (1819), en escaladant le rempart du nord et se laissant glisser, au moyen d'une corde, au bas des escarpements du Rhummel qui bordent la ville (2).
Houssein, dey d'Alger, qui lui avait toujours accordé sa confiance, le fit arrêter et interner à Blida, plutôt pour le protéger que pour lui être désagréable et, quelques années plus tard, le nomma bey de Constantine (août 1826). El Hadj Ahmed était alors âgé de 39 ans.
Parti d'Alger en 1826, avec une colonne légère et en compagnie de Yahia Agha, il se rendit chez les l'Ouad-Zitoune, puis dans les Oulad-Driss, à Sour el-Gozlane, actuellement Aumale, et, parvint dans le massif montagneux de l'Ouennougha.
II régla sur ce point diverses questions, se rendit ensuite à Zemmora, où se trouvait une petite garnison turque, puis dans la tribu des Righas, dans celle des Oulad-Abd-en-Nour et enfin dans la fameuse tribu des Oulad-Solthane (3).
Dans cette dernière tribu, célèbre à toutes les époques par son esprit d'indépendance et de révolte, que protègent les contreforts presque inaccessibles de l'Aurès, la colonne d'El Hadj Ahmed fut arrêtée par les montagnards et dut combattre longtemps avant de pouvoir soumettre ces populations farouches et arriver à leur faire payer l'impôt qu'elles refusaient obstinément de payer depuis plusieurs années.
En 1828, il fit arrêter, sur les terres du cheikh Zouaoui, les deux fils de Ben Zekri : Mostefa et Abdallah, les membres des familles Ben Namoune et Ben Labiod, qui lui faisaient opposition et leur fit trancher la tête. Leurs têtes portées à Constantine et exposées, servirent à épouvanter ceux qui auraient été tentés d'imiter les opposants.
On prétend qu'El Hadj Ahmed, lorsqu'il reçut les têtes des seize décapités, s'amusa, après avoir reconnu chaque tête, à injurier celui auquel elle avait appartenu (4). Amusement assez macabre !
Dans la même année 1828, il razzia les Oulad Bou Renane et les Oulad-Soltane. Il commença aussi à cette époque la construction du Palais qui est actuellement le Palais de la Division de Constantine et fit venir pour cette construction de nombreux marbres, carreaux, faïences et colonnes d'Italie.
En 1830, appelé par le Dey d'Alger, Houssein, afin de l'aider à combattre la France, il combattit vaillamment à la tête de ses goums dans tous les engagements de juin 1830, mais voyant que toute résistance était inutile, il retourna à Constantine (5),
En rentrant, il réprima une sédition qui avait éclaté parmi la garnison turque et la remplaça par un corps de kabyles de la tribu des Zouaoua, troupe bien entraînée et disciplinée,
En automne 1830, une révolte éclata aux environs de Sétif, sous la direction de Braham el Gréitli, ancien bey de Constantine; El Hadj Ahmed se rendit, avec un fort contingent de cavalerie, à Biar-el-Djedid et attaquant avec impétuosité les rebelles, les tailla en pièces. C'est du jour de cette victoire qu'il prit le titre de pacha (6),
Braham el Gréitli, ayant encore soulevé les tribus du sud, se disposa à marcher sur Constantine avec ses contingents, mais El Hadj Ahmed ne lui laissa pas le temps d'arriver et après un combat acharné, le défit complètement à Aïn-Zana. El Hadj Ahmed fit décapiter tous les cadavres de ses ennemis et leur têtes furent envoyées à Constantine.
Braham el Gréitli, qui avait réussi à s'échapper, s'installa à Bône en septembre 1831, bien résolu à contrecarrer la politique d'El Hadj Ahmed(7). Celui-ci rassembla des troupes et les envoya contre El Gréitli, sous la direction d'El Hadj Amar ben Zegouta; les habitants de Bône demandèrent alors leur pardon. Mais Ben Aïssa, envoyé aussi à Bône par El Hadj Ahmed, avec un autre corps de troupes, s'empara d'El Hadj Amar contre lequel il avait un profond ressentiment et continua le siège de la place de Bône.
Dans la mêmeannée 1831, l'ancien cheikh el Arab, Ferhat ben Saïd, leva l'étendard de la révolte dans le sud de la province. El Hadj Ahmed, sans perdre de temps, réunit une troupe qu'il fit monter à mulet et, à sa tête, fondit à l'improviste sur le campement de Ferhat ben Saïd, à Ed-Diss; les troupes de ce dernier furent mises en déroute et El Hadj Ahmed s'empara d'un grand butin.
En 1832, dans la nuit du 5 au 6 mars, Ben Aïssa entra à Bône en vainqueur; mais la Casbah, défendue par la garnison turque avec les capitaines Buisson d'Armandy et Yussuf, à la tète des marins de la Béarnaise, goélette armée de 8 canons (8), résista. Cependant Ben Aïssa, malgré ses promesses (9), obligea les habitants de Bône à quitter la ville et mit ensuite le feu à toutes les maisons; comme on le voit, ce subordonné d'El Hadj Ahmed mettait en pratique les théories de son maître.
Ben Gana, jaloux de Ben Aïssa, favori du bey El Hadj Ahmed, rompit avec ce dernier, mais sur l'intervention de Bouaziz ben Bou Lakhras ben Gana, les deux cousins se réconcilièrent; néanmoins, El Hadj Ahmed fit mettre à mort tous les membres du Maghzen qui avaient trempédans la tentative de conspiration de Ben Gana.
En apprenant ces représailles, Ben Gana se révolta une deuxième fois, mais il se réconcilia de nouveau avec El Hadj Ahmed, lorsque ce dernier assiégea la petite ville de M'silla et toujours grâce à l'intervention de Bouaziz ben Bou Lakhras.
En 1834, El Hadj Ahmed assiégea M'silla, dispersa les habitants et leur enleva tout ce qu'ils possédaient. Il fut rejoint dans cette localité par Ahmed Bou Mezrag, fils de l'ancien bey de Titteri, qui venait d'être chassé de Médéa et réclamait son appui.
El Hadj Ahmed se rendit dans cette ville, fut reçu très aimablement par les habitants et on va voir comment il leur prouva sa reconnaissance. Il réinstalla Ahmed ben Bou Mezrag comme bey de Titteri, fit arrêter cent notables et quitta la ville furtivement avec ses prisonniers, qu'il fit tous décapiter à son arrivée à Constantine (10).
Dans la même année 1834, El Hadj Ahmed se signala spécialement par sa cruauté, il fit trancher la tête à soixante cavaliers des Oulad-Metella, et, le lendemain de cette exécution, cent dix individus des Oulad-Ameur étaient tués: quarante furent pendus et soixante-dix égorgés (11).
Un peu plus tard, soixante notables des Béni-Oudjana étaient tués dans une seule matinée, sur l'ordre d'El, Hadj Ahmed; comme on le voit, le bey de Constantine était partisan de .la manière forte.
En 1835, El Hadj Ahmed sortit de Constantine avec sa colonne et opéra une razzia sur les Oulad Saïd, de l'Aurès, leur prit leurs troupeaux, leurs tentes, et fit couper la main droite à soixante prisonniers, les soixante mains furent envoyées à Constantine comme trophée (12).
Dans la même année, El Hadj Ahmed attaqua le camp français de Dréan, mais le commandant Yussuf se défendit avec impétuosité et le mit en fuite, une deuxième tentative d'El Hadj Ahmed ne réussit pas mieux et il rentra à Constantine.
Le 22 novembre 1835, le maréchal Clauzel attaqua Constantine. El Hadj Ahmed organisa la défense de cette place et réussit à éloigner les troupes françaises. Les notables de Constantine ayant demandé l'aman à Yussuf, El Hadj Ahmed fit pendre le merabet El Arbi et Si El Haoussin ben Sliman, tous deux signataires de la requête (13).
En 1836, le bey de Constantine envoya une armée commandée par l'agha Ben Hamlaoui et Bouziane ben Leulmi, pour chasser les Français de Guelma; mais les attaques furent toujours repoussées et El Hadj Ahmed, après trente jours de siège dût faire rentrer ses troupes àConstantine.
En 1837, les 12 et 13 octobre, la colonne du général Damrémont s'emparait de Constantine, malgré la belle défense des habitants; trois jours après, El Hadj Ahmed se réfugiait avec ses fidèles à Biskra, bien décidé à combattre la domination française.
En 1838, El Hadj Ahmed fut expulsé de Biskra par El Berkani, Khalifa d' Abdelkader.
En mai 1839, il souleva les Telerma et est battu par le général Négrier; il se réfugie chez les Haractas et de là dans les montagnes de l'Aurès (14).
En 1840, il excite les indigènes des Haractas à se soulever, mais il est battu par le général Galbois, qui lui enlève 80,000 têtesde bétail.
En 1841, il recrute dans le Hodna quelques partisans et est battu à Aïn-Remel, près de Sétif, par le général Sillegue.
Il se réfugie, après cette défaite, pendant les années 1842-1843, à Negaous, chez les fameux
Oulad-Soltane.
En 1844, au mois de février, il veut disputer au duc d'Aumale qui se rend à Biskra, le défilé d'EIKantara; il est battu par le colonel Bulaluocco.
Au mois de mai de la même année, le duc d'Aumale voulant en finir avec les Oulad-Soltane qui, par tradition, sont toujours en révolte, se porte dans les montagnes des contreforts aurasiens; El Hadj Ahmed ne voulant pas perdre cette occasion d'être désagréable aux Français vint, avec 900 hommes, au secours des gens du Belezma. Le combat fut acharné et dura deux jours, mais finalement les rebelles eurent le dessous et nos vaillants soldats s'emparent de toutes les positions; la tente d'El Hadj Ahmed et tout ce qu'elle contenait tombe entre nos mains. El Hadj Ahmed se sauve à grand peine et se réfugie à Mana, petite ville de l'Aurès (15).
En 1845, les gens de l'Aurès, toujours remuants, se révoltent à nouveau avec El Hadj Ahmed comme chef; le général Bedeau le soumet facilement et l'ancien bey retourne avec son goum à Mana, puis il va se fixer définitivement dans l'Ahmar-Khadou.
C'est là qu'en juin 1848, après de longs pourparlers, il se rendit au commandant de Saint-Germain. Il fut transporté par Philippeville à Alger, où il fut interné.
On voit, par l'énumération sommaire des actes d'El Hadj Ahmed, quelle vie agitée eût le dernier bey de Constantine.
Ses onze ans de règne ne furent qu'une suite ininterrompue de trahisons, de forfaiture, de méfaits, de crimes et l'on comprend difficilement que les indigènes de la province de Constantine aient supporté avec tant de résignation un chef aussi cruel.
Quant aux onze années de rébellion contre la domination française, pendant lesquelles El Hadj Ahmed combattit avec acharnement, il continua à mener une existence des plus actives, se portant partout où une sédition pouvait avoir des chances de réussite et ne cessa ses agissements coupables que devant l'énergie de nos généraux : Bedeau, Sillegue, Galbois, Négrier, etc.
Après son internement à Alger, l'ancien bey reçut une pension annuelle de douze mille francs que lui servit, peut-être trop généreusement la France jusqu’a sa mort, le 30 août 1850, car si l'adage: « La vertu est toujours récompensée) existe, tel n'était pas le cas pour El Hadj Ahmed ben Mohammed Cherif.
ACHILLE ROBERT,
Membre correspondant de la Société archéologique.
1. Surnom que lui valut l'emploi, pour les exécutions capitales, d'une sorte de hache au lieu du sabre traditionnel.
2. Histoire de Constantine, par E. Mercier, page 356.
3. Histoire de Constantine sousla domination turque, par Vaysettes, 13e Recueil de la Société archéologique de Constantine, p. 588.
4. Histoire de Constantine, par E. Mercier, page 377.
5. Histoire de Constantine sous la domination turque, par Vaysettes 13e Recueil de la Société archéologique de Constantine, page 593
6. Histoire de Constantine, par E. Mereier, page 388.
7. Bône militaire, par le Capitaine Maitrot, page 190, Imprimerie Mariani, Bône.
8. Bône militaire, par le Capitaine Maitrot, page 190,
9. Bône militaire, par le Capitaine Maitrot, page 222
10. Histoire de Constantine sous ta domination turquepar Waysettes, 13e Recueil de la Société' archéologique de Constantine, page 606.
11. Histoire de Constantine sous la domination turque, par Vaysettse, 13e Recueil de la Société archéologique de Constantine, page 607.
12. Id, page 608.
13. Id. 610.
14. Histoire de Constantine sous la domination turque, par Vaysettes, 13e Recueil de la Société archéologique de Constantine, page 617.
Histoire de Constantine sous la domination turque, par Vaysettes, 13e Recueil de la Société archéologique de Constantine, p. 618 et 619.
TRADUCTION
Louange à Dieu seul. Il n'y a que lut d'adorable.
A sa Grandeur, son Excellence Monsieur l'illustre et très élevéGouverneur Général de l'Algérie, que Dieu le protège!
Que soit sur vous le salut, accompagné de la miséricorde et des bénédictions du Dieu très haut!
Nous avons appris avecplaisir votre arrivée à Alger et nous nous réjouissons de votre nomination à la tête de l'Administration de l’Algérie.
Nous implorons le Dieu suprême de vous accorder ses bénédictions et de faire que votre avènementdans ce pays ouvre pour son peuple une ère de prospérité, de bonheur et de paix!
Que la Providence (qu'elle soit glorifiée et exaltée) fasse de vous un refuge pour le bien et vous destine à répandre les bienfaits sur vos sujets) car vous êtes doué de sentiments de vertu et de bonté!
Je désirerais, s'il plait à Dieu! me présenter à cotre Altesse pour lui rendre visite après que vous aurez pris du repos.
Ceci est mon vœu.
Que le salut soit sur vous !Que Dieu vous garde sous sa protection et son égide !
(Ecrit avec L’autorisation de Sid El Hadj Ahmed, bey Que Dieu soit avec lui! Amen. Le 2 du mois de moharrem 1267 de l'ère hégirienne),
Au bas de la lettre figure l'empreinte d'un cachet portant : EL HadjAhmed, serviteur de son Dieu.
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