CHAOUKI-LI-QACENTINA

CHAOUKI-LI-QACENTINA

BEIGNETS CHAUDS et ZELABIAS


                                   Carte postale ancienne

Avec le Café Maure, il est une boutique typiquement algérienne : c'est celle du marchand de beignets et de pâtisseries orientales. On en rencontre partout : dans toutes les villes grandes et petites, dans le moindre village de campagne ; dans les rues fréquentées comme dans les ruelles tortueuses des vieux quartiers. Que ce soit une petite échoppe à l'installation vieillotte ou un magasin moderne, vous n'y verrez que rarement une enseigne : en effet, l'appel du client se fait à la piste, par l'odeur - odeur caractéristique de l'huile chaude et de la friture portée jusqu'à vos narines à des dizaines de mètres par des vapeurs odorantes s'étalant partout.

Quant à la réclame, elle est matérialisée, surtout aux premières heures de la matinée, par le groupe des clients qui attendent d'être servis. Ils sont de toutes les classes de la société ; on voit  beaucoup d'ouvriers se rendant à leur travail et aussi  des gamins ou des fillettes dépêchés depuis les maisons voisines pour le ravitaillement de la famille ; les petits partent en courant, tenant à deux mains, entre deux feuilles de papier grossier, une pile de beignets ronds, brûlants et dorés qui répandent au passage un fumet appétissant.

Qu'elle soit archaïque ou moderne, l'installation des lieux est basée selon des principes immuables, sur une architecture définitivement arrêtée depuis fort longtemps. C'est essentiellement un grand " tadjine " - plat d'argile cuite - scellé à demeure dans un bloc de maçonnerie, creux, formant le foyer à cheminée, ouvert seulement à l'arrière. C'est par ce seul orifice qu'est assuré le chauffage à la sciure et aux copeaux de bois ; assis à terre près de l'âtre, le préposé (bien souvent un enfant), jette régulièrement des poignées de combustible sur le foyer incandescent qui assure à l'huile du tadjine une température constante voisine de l'ébullition.

Nos f'taïrs étaient plus étirés, presque transparents, au centre

L'immense entonnoir de tôle renversé ou la " cape " de maçonnerie construite au-dessus du plat pour recueillir les vapeurs d'huile, l'un comme l'autre ne sont jamais assez grands pour remplir parfaitement cet office ; c'est pourquoi la vapeur lourde se répand dans la boutique et à l'extérieur.

De plus en plus, les revêtements de marbre blanc et de carreaux de faïence vernissée remplacent, dans les installations modernes, les antiques crépissages et les carreaux rouges d'autrefois.

Le patron, maître des lieux et artiste-pâtissier, trône, à la manière des tailleurs, devant le grand plat d'huile bouillante, un torchon de toile jeté sur les genoux repliés. A portée de sa main droite, un récipient d'huile vierge, une bassine contenant la pâte légère à base de farine préparée depuis la veille. Il trempe le bout de ses doigts dans l'eau d'une cassolette, plonge sa droite dans la pâte et en retire juste la quantité nécessaire pour un beignet : à quelques grammes près, sa mesure est toujours la même.

La boule de pâte roulée du bout des doigts agiles s'agite, s'aplatit, s'arrondit et s'étale en un disque mou prodigieusement tenu en l'air ; avec une dextérité remarquable et un geste plein d'adresse, le beignet est tourné et jeté dans l'huile chaude où il tombe en grésillant. S'armant alors d'une pique de fer, l'homme le retourne pour qu'il finisse de cuire. Il reprend sa pique, soulève le beignet, le retire de la friture et l'égoutte un instant. Il le pose dans un large plat d'argile où l'huile en excédent finit de s'écouler. Son assesseur n'a plus qu'à prendre un morceau de papier avec lequel il saisit le " f'taïeh " doré et brûlant et le passer de la main à la main au client impatient.

Certains amateurs s'installent dans l'arrière-boutique enfumée pour déguster et ils ont le privilège d'être servis dans des assiettes de métal ; d'autres préfèrent manger leur beignet au grand air, dans la rue. Quant aux plus pressés, ils mangent en marchant et en se brûlant les doigts !

Et sans le moindre répit, les " f'taïeh " défilent jusqu'à une heure avancée de la matinée.

Changement de service : Confection des " zélabïas ".


 

De la pâte fluide, à base de semoule, passée à l'entonnoir, l'homme dessine dans l'huile chaude des arabesques compliquées et régulières qui grésillent et se gonflent légèrement en cuisant. Puis en quelques coups de ciseaux, les parts sont séparées et mises à égoutter. L'assistant les plonge, encore brûlantes dans un sirop de sucre rougi - produit de remplacement du miel orthodoxe devenu trop onéreux aujourd'hui - les retire au bout d'un moment et les empile en pyramides colorées, dégoulinantes de sirop où, tout le jour, les clients passagers viennent puiser pour satisfaire leur gourmandise.

"F'taïehs " et " zélabïas " sont l'essentiel du commerce ordinaire, ce sont les pâtisseries les plus courantes et les plus appréciées. Mais, notamment à l'époque du Ramadan et des fêtes ( Aïd-Ess'ghir et Aïd-El-K'bir )  ces marchands de gourmandises étendent la variété de leurs pâtisseries :  beignets feuilletés trempés dans le miel, biscuits fourrés de dattes écrasées et cuits dans l'huile - ces délicieux " makrouts " , palets de noix écrasées cuites au four, nougats aux amandes et aux cacahuètes ;  toute une gamme de sucreries, de gâteaux et de friandises diverses s'étale aux devantures brillamment illuminées. Durant toute la nuit, les clients se succèdent pour des dégustations pantagruéliques.

Crayon sur Canson : 25 cm x 25 cm

Texte de A. Bianco

Publié le 19 mai 2019 par Michèle Pontier-Bianco

Source Algérie Mon Beau Pays



23/06/2019
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