Il était une fois la Cinémathèque Cirta
«Il y a 23 ans, elle nous a quittés à jamais. Partie en laissant un vide énorme qui sera impossible à combler.
Nous invitons tous ceux qui l’ont connu et côtoyé à avoir une pensée à sa mémoire.» Si les pages nécrologiques pouvaient contenir les pensées outre que pour les humains, telle serait celle qu’on écrirait aujourd’hui pour la Cinémathèque Cirta.
La salle mythique de Constantine a vécu pleinement son quart d’heure de popularité ; elle avait un public qui parfois était tellement nombreux qu’il fallut multiplier les séances. Un temps que les moins de 30 ans n’ont pas connu ! Comme toutes les autres salles de cinéma en Algérie, Cirta subira les vicissitudes du temps et des politiques cinématographiques, avant d’être rattrapée et liquidée par le nihilisme et le fascisme culturels. Pour l’histoire, la salle est née en 1934, dans le cadre d’une extension de l’hôtel Cirta palace situé au cœur de Constantine.
Elle est conçue sous la forme d’un opéra. En 1985, elle est affectée à la Cinémathèque nationale. Mais déjà, depuis de longues années, elle est le must pour toute une génération avide de culture et de rencontres. Les nostalgiques vous raconteront le succès du Panorama du cinéma et des journées du Cinéma maghrébin ; Youcef Chahine, Jane Campion et Costa Gavras paradant parmi la foule, Mohamed Chouikh et Mustapha Badie animant le ciné-club. Ils vous raconteront le rayonnement culturel de cette salle légendaire devenue cinémathèque vouée au 7e art, celui de Eisenstein, Milos Forman, Charlie Chaplin ou encore Luchino Visconti.
Dans ses heures de gloire, Cirta s’est transformée en une ruche des grands débats, notamment ceux animés par les étudiants de l’université. Avant de céder, elle livre bataille et tient la dragée haute à ses «agresseurs». Elle a réussi même à faire un pied de nez aux troupes du FIS qui bivouaquaient sur la place des Martyrs durant «El i’tissam», la fameuse grève générale de mai 1991, en s’offrant un festival et en accueillant des stars.
Une oasis au milieu de la tempête politique qui annonçait une longue nuit de violences et de trahisons. La salle ne sera pas fermée pour autant et poursuit son activité jusqu’à ce triste jour d’octobre 1995 quand les Constantinois se réveillèrent groggy devant la nouvelle de l’incendie qui emporta tout dans la salle.La fermeture se prolonge et aucun responsable ne juge utile de retaper et rouvrir le cinéma. Pire ! En 1999, l’administration locale, et dans le cadre d’une politique de restitutions des biens nationalisés, décide de céder le cinéma à un prétendant propriétaire.
Des militants de la culture organisent la défense et saisissent la justice pour demander l’annulation de la décision au nom de l’association des Amis de la Cinémathèque. Au bout d’un long procès, riche de rebondissements, la décision est annulée effectivement, mais la salle reste orpheline du moindre intérêt de la tutelle, le ministère de la Culture.
Après de longues années d’abandon, elle a fini par être tout simplement récupérée par l’hôtel dont elle fait partie et détournée définitivement de sa vocation dans le cadre de la restauration et l’extension de l’hôtel. Comble de l’ironie, cet «enterrement» s’est fait sous le label Constantine capitale de la culture arabe – 2015 – la manifestation qui a motivé la réhabilitation et l’extension de l’hôtel Cirta !
A Constantine, l’histoire de cette salle est celle de toutes les salles obscures. Aujourd’hui, aucun cinéma ne fonctionne comme tel, et toute une génération ignore totalement le plaisir du grand écran.
Par/Nouri Nesrouche
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