Le Boulevard de l'Abîme - Kef-Chekara
Boulevard de l'Abîme - Premier tunnel - MPB
... La création relativement récente d'une route en corniche, dite "Boulevard de l'Abîme", taillée dans le flanc même de la falaise, ou perçant la masse rocheuse en plusieurs tunnels, permet, en partant de la ville, d'accéder aujourd'hui, juste au-dessous du "Rocher des femmes adultères". C'était là, en effet, à cet endroit où le rocher surplombe le vide, Kef Chekara ( Le rocher du sac) , que se jouait le dernier acte de justice ; la plateforme porte encore ce nom de " rocher des femmes adultères "mais les malheureuses partageaient également ce sort avec les condamnés à mort et les " mis hors d’état de nuire" devenus trop gênants ! Précipités dans l'abîme, les corps étaient livrés en pâture à la faune carnassière et sauvage qui hantait la région de Sidi M'Cid : hyènes, chacals, vautours et charognards. Et à cet endroit donc, s’ouvre le plus long des tunnels. Ici, d'une plateforme carrée construite au-dessus du vide, on découvre le plus saisissant, le plus impressionnant et le plus beau des panoramas.
A perte de vue, encadrée de montagnes, la vallée du Rhumel déroule ses plis, ses modelés, ses collines et ses croupes, ses petites plaines, ses coteaux et ses vallons ; là où les verts des cultures se fondent aux rouges et aux bistres des terres nues jusqu'à la ligne dentelée des montagnes bleues de l'horizon.
Notre horizon - (en partie)
Au premier plan se détache, tout au long des méandres de la rivière, une mer de verdure : c'est l'oasis du Hamma où les végétations naturelles croissent et se multiplient en liberté, mêlant leurs verdures et leurs bosquets à celles des jardins et vergers cultivés : çà et là, des têtes de palmiers se dressent au-dessus des frondaisons.
La paroi rocheuse plonge à la verticale dans le vide jusqu'au lit de l'oued dont les filets d'eau se glissent entre les rocs tabulaires jusqu'au-delà d'un pont de pierre - le Pont des Chûtes - où elles sautent de falaise en falaise, en coulées et cascades mousseuses, bondissantes et écumeuses.
Pont des Chûtes
Aux périodes des grandes pluies, les flots torrentueux donnent à ces cascades, démesurément grossies, une remarquable majesté ; le grondement continuel des eaux bouillonnantes s'entend depuis la ville. On ne peut supporter longtemps de plonger ses regards dans le vide sans éprouver un véritable vertige doublé d'une insurmontable attirance. Les âmes les mieux trempées, les cerveaux les plus équilibrés, ne peuvent résister à ce malaise : les mains se crispent sur les rambardes de fer et instinctivement les yeux cherchent des marques de solidité rassurante.
Aussi, combien de cœurs lourds et angoissés, d'esprits torturés de chagrin et de désespoir, sont-ils venus là, se plonger dans l'oubli total par le grand saut de la mort et de la délivrance ? ...
Mais, insensibles aux terrifiants souvenirs du passé, les couples enlacés des jeunes amants, viennent à la tombée du jour, cacher dans ces coins d'ombre, le secret de leurs promesses et de leurs premières émotions sensuelles.
Boulevard de l'Abîme
La corniche s'enfonce dans l'ombre profonde des tunnels, coupée d'une éclaircie à ciel ouvert où, aérienne, elle passe au-dessus de la " Grotte des Pigeons " dans laquelle ont été retrouvés des vestiges archéologiques remontant à la préhistoire. Une cage vitrée lumineuse marque, un peu plus loin, le point de départ d'une entreprise audacieuse : un ascenseur dont le passage a été entaillé dans la masse rocheuse, dans le flanc même de la falaise. Il descend en quelques secondes les cent-cinquante-six mètres qui séparent le boulevard du fond des gorges et permet d'accéder rapidement aux piscines de Sidi M'Cid et aux petites agglomérations maraîchères et industrielles riveraines du Rhumel.
Le Pont Suspendu et l'Hôpital
Enfin, la bouche noire du tunnel s'ouvre sur le ciel lumineux qui domine un horizon de collines couvertes de pinèdes, l'agglomération d'un faubourg dans un fond de vallon, les immenses constructions de l'Hôpital Civil et, sur la gauche, un piton massif, un promontoire imposant de rocailles surmonté du Monument aux Morts.
D'un élan superbe, une passerelle suspendue au-dessus du gouffre, franchit la sortie des Gorges du Rhumel, d'un bord à l’autre, par un saut prodigieux de près de cent-soixante -dix mètres, sur une profondeur d'abîme sensiblement égale. Ce Pont Suspendu - ou : Passerelle Sidi M'Cid - est certainement l'une des œuvres les plus hardies, les plus audacieuses du monde.
Gracile, aérienne, irréelle, une mince ligne de métal ajourée, retenue par les courbes gracieuses des câbles, vole avec une incroyable aisance, d'une falaise à l'autre, au-dessus des fonds inquiétants de rochers et de pierrailles éboulées, des cascades et des verdures de la vallée du Hamma.
Au bout de la passerelle s'ouvre un sentier de chèvres, se glissant dans les pins et conduisant au Monument aux Morts, une autre merveille qui fait la fierté de Constantine. Réplique de l'Arc de Triomphe de Trajan à Timgad, teintée d'inspiration légère de l'Arc de Triomphe de l'Etoile, cette œuvre monumentale se dresse, imposante, sur son socle de rochers, dans l'isolement majestueux du vide. La reproduction colossale d'une statuette de bronze, appartenant à la III° Légion Augusta et retrouvée dans les ruines romaines, une victoire ailée qui s'élève dans l'azur, de la plateforme supérieure, face à l'immense panorama qui force l'admiration et la contemplation.
Des couchers de soleil fantastiques, aux riches couleurs d'incendie, aux changeantes luminosités, remplissent chaque soir les décors merveilleux d'une nature agreste, accrochant sur la pierre des traînées d'or, d'une finesse impalpable.
Monument aux Morts de Constantine
Chaque soir ...
Par/ A. Bianco
Publié le 20 août 2018 par Michèle Pontier-Bianco sur Algérie mon beau pays
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