CHAOUKI-LI-QACENTINA

CHAOUKI-LI-QACENTINA

LE GRAND AQUEDUC DE CIRTA

Des travaux de terrassement entrepris au cours de l'hiver 1916-1917, pour plantation d'arbres, sur un coteau situé au-dessus de l'avenue de la Pyramide, entre le chalet Fourrier et le quartier du Patrimoine coopératif constantinois, mirent à jour les vestiges de la grande canalisation qui, sous la domination romaine, amenait à Cirta les eaux captées à une distance d'environ 35 kilomètres, aux sources du Bou-Merzoug actuel. La captation en ce lieu ne saurait faire aucun doute, puisque les Romains y avaient élevé un sacellum orner de colonnes corinthiennes, consacré au Génie de ces eaux (1). Nous rappellerons simplement, pour mémoire, l'inscription' trouvée à 8 kilomètres en aval de cette source, étudiée par Charbonneau en 1868(2).

GENlo fLVMINJS

CATV AMSAGAE etc.

Qui avait pu appartenir à ce sanctuaire. Le cours d'eau auquel cette source donnait naissance, le

Bou-Merzoug, se serait alors appelé, d'après Charbonneau : Catu-Amsaga. Nous trouvons à ce sujet dans le Recueil de la Société de 1913, une controverse du Capitaine Cabon, appuyée sur la découverte, à environ

80 kilomètres à l'ouest du point précité, d'une inscription, située aussi à une source captée, où il est question d'un CAPVT AMSAGAE. La conclusion en serait, à notre avis; des plus simples, c'est que le fleuve, de la mer jusqu'à sa division en deux branches, à environ un kilomètre de Cirta, s'appelait AMPSAGA ou AMSAGA.

Ce nom était porté ensuite par les deux affluents, l'un, le plus long, venant de l'ouest, continuait l'Amsaga véritable, l'autre, venant du sud et le plus court, était qualifié d'Amsaga-Catu. Si nous cherchons la définition de cette épithète, nous en trouvons l'origine dans la langue phénicienne où la racine qat indique une idée de diminution, le mot hébreu קאםנ qathoun, dérivant de la même racine, signifie petit. L'étymologie punique du nom de l'Amsaga est indéniable; Gésenius lui donne comme racines les mots am (mère), pseg (division), ce qui s'explique pal' la réunion en un seul des deux cours d'eau dont le plus petit, le Bou-Merzoug actuel, était qualifié de catu (petit), cal' il était le moins important. De nos jours, l'Amsaga s'appelle Oued-el-Kabîr (la grande rivière), de son embouchure à sa bifurcation, pour prendre à ce point, le nom de Rhummel pour le cours d'eau venant de l'ouest et de Bou-Merzoug pour celui venant du sud Cette digression semble donner la solution à la controverse née de la comparaison des deux inscriptions et à l'idée émise par certains archéologues que le mot CATV était une erreur du lapicide qui avait voulu inscrire CAPVT; ils auraient, en outre, dû remarquer qu'il fallait un génitif et qu'il aurait alors fallu graver

CAPl pour CAPl tis.

Pour revenir à notre sujet, nous dirons que le canal antique, dont les restes étaient assez bien conservés, pouvait être suivi sur une longueur d'environ 80 mètres. La maçonnerie, établie à flanc de coteau, était composée d'un blocage de pierres de toute nature, principalement de grès roulé, noyées dans un mortier rose et revêtue d'un parement de briques de trois formes : triangulaires isocèles, du même genre, mais ayant un des angles de base du triangle abattu, ce qui leur donnait une forme pentagonale, enfin rectangulaires.

L'argile ayant servi à leur fabrication semble provenir du voisinage et est de couleur jaunâtre et ocre rouge pâle. Les constructeurs ont dû, en effet, trouver leurs matériaux à pied d'œuvre, cal' le sous-sol est formé de poudingues de l'époque triasique, dans lesquels alternent des bancs de grès roulé, d'argile rouge, de sable gréseux. Les briques ont été faites sur place; l'existence de poteries remontant à' une époque très reculée, s'est révélée lors des travaux de construction exécutés dans le voisinage pour l'édification d'une centaine de maisons. Les fouilles pour fondations ou nivellement ont mis à jour des débris d'amphores, de tuiles et de récipients divers; des couches de terrains grisâtres provenaient de cendres décomposées et la coupe du sol démontrent la présence de cavités anciennes dans les quelles se concentraient les eaux de pluies ou de sources pour le malaxage des terres; la ligne concave en indiquant le fond, était formée d'une couche de terrain très noir provenant de la décomposition de plantes aquatiques.

Du reste, cette industrie de l'argile, qui s'était fixée dans cette région de la périphérie cirtéenne, a subsisté jusqu'à notre époque, puisque les restes d'un four à poteries et des fragments de briques vitrifiées sont encore visibles à l'heure actuelle et que sur le versant nord-ouest de la colline, il existe une très importante et très prospère tuilerie-briqueterie. Ainsi donc, de toutes les matières nécessaires à la construction de cette conduite d'eau, seules, la chaux et la pierre de taille ont dû être amenées des points de production ou d'exploitation. La chaux devait provenir des gisements calcaires situés à environ trois mille romains de la ville, à travers monts et ravins, comme cela se fait encore aujourd'hui. La pierre provenait des carrières situées vers le pont d'Antonin, à l'entrée de la ville.

La canalisation qui nous occupe avait une largeur de 54 centimètres, la hauteur du mur, en amont du talus, paraissait être de 81 centimètres; pour le côté aval éboulé en partie, il a été impossible d'en déterminer la hauteur, mais elle devait être semblable pour permettre la couverture complète de l'aqueduc. La ruine de cette partie aval est due à la poussée des terres, à la main des hommes, aux intempéries et aussi au passage des troupeaux venant y brouter une herbe maigre et rare.

Un enduit de mortier très fin et très durs garnis sait les parois et le radier dont les angles étaient arrondis en forme de carène.

Cet enduit présentait les traces indéniables de la mise en service de cette canalisation, ce qui réduit à néant certaines opinions, qui auraient pu prévaloir, tendant à démontrer que les Romains avaient construit une conduite d'eau de 35 kilomètres, franchissant un terrain très tourmenté, en tunnels, siphons, aqueduc monumental, et s'étaient aperçus ensuite qu'ils ne pouvaient l'utiliser, probablement par suite d'une erreur de nivellement.

N'oublions pas que les Romains étaient passés maîtres dans les travaux aquigères. Qu'ils sont allés chercher les eaux saines pour alimenter leurs villes, à des distances très grandes et qu'ils n'ont jamais échoué dans leurs entreprises. Rappelons-nous la plaine de la Manouba, en Tunisie, qui est jalonnée, à perte de vue, par les arceaux ruinés du grand aqueduc de Carthage qui, du Zaghouan (Ziovensis mons), amenaient les eaux aux citernes de Maalga.

Il est vrai que si les instruments de nivellement des architectes romains étaient rudimentaires, ils n'en étaient pas moins ingénieux.

C'étaient le dioptre et le chorobate. Le premier était un système de balance, tandis que le second était un véritable niveau d'eau. Il se composait, d'après Vitruve, d'une règle longue d'environ vingt pieds à laquelle étaient jointes, aux deux extrémités et d'équerre, deux autres règles en forme de coude et deux autres tringles placées entre la règle et les extrémités des pièces coudées sur lesquelles on marquait les lignes perpendiculaires. Sur ces lignes pendaient des plombs attachés de chaque côté à la règle. Si les plombs touchaient également les lignes marquées sur les tringles transversales, la machine éliât de niveau. En outre, pour plus de sécurité, la règle était creusée d'un canal long d'environ cinq pieds, large d'un doigt et creux d'un doigt et demi, que l'on remplissait d'eau. Il était donc très aisé de calculer la pente. Dans ces conditions, comme dans toutes leurs constructions, le chorobate avait joué son rôle, lorsque les architectes romains construisirent leur grand aqueduc, qui fut appelé à rendre, pendant plusieurs siècles, les plus grands services à la capitale de la Numidie. Nous avons parlé des traces indéniables d'usage qu'il présentait par le dépôt des plaques folliculaires des calcarisations successives ayant de 5 à 15 millimètres d'épaisseur, selon que les observations ont porté sur les parois ou le radier. Nous exprimerons plus loin notre opinion en comparant ces faibles dépôts avec ceux des eaux d'alimentation de notre époque. Ce préambule nous amène forcément à parler de l'aqueduc monumental se raccordant à cette canalisation, à l'époque de sa construction et à l'alimentation en eau de Cirta Charbonneau, dans le Recueil de la Société (année 1853) a effleuré ce sujet et reprenant l'opinion de Ravoisié et, ayant pu étudier les vestiges qui existaient encore à son époque, il nous parle des trois aqueducs qui amenaient à la cité le précieux liquide Les citernes du Capitole, de la contenance d'environ 30,000 mètres cubes, étaient alimentées par les eaux du Djebel-Ouach, dont une partie du canal d'adduction fut découverte en 1845. Cette eau s'augmentait de celles provenant des sources de Sidi-Mabrouk, l'antique faubourg de Mugœ. Après s'être réunies, elles franchissaient le ravin, en face de la gare des marchandises, par un aqueduc dont il ne subsiste plus qu'un jambage d'arceau posé sur les roches de la rive gauche du Rhummel. Une dérivation alimentait un quartier de potiers, situé vers le coude de la rue Nationale actuelle et où on voyait encore, au temps de Charbonneau, de nombreux réservoirs. Quelques vestiges ont été mis à jour lors de l'édification de la passerelle suspendue et de l'œuvre des bains -douches. De ce point, la conduite remontait vers les citernes de l'acropole de Cirta, où s'élevaient divers édifices importants, entre autre le temple de Jupiter Victor. Les toitures de ces monuments apportaient la contribution de leurs eaux pluviales, pour augmenter les disponibilités aqueuses de la cité, ce qu'ont démontré diverses pierres de ces édifices qui étaient creusées de rigoles.

Cette première adduction d'eau remonte aux premiers temps de l'époque romaine, peut-être même à Massinissa, le premier cavalier de Numidie, ou plutôt à son fils Micipsa, dont le règne particulièrement brillant jeta sur la contrée les germes d'une architecture spéciale.

Est-ce à dire qu'auparavant les Cirtéens n'avaient pas de moyens pour étancher leur soif et surtout pour soutenir les innombrables sièges auxquels la situation stratégique de leur oppidum semblait les avoir condamnés?

II est certain que l'Amsaga fut longtemps le réservoir naturel où les habitants allaient chercher la précieuse boisson, comme cela se produisit encore avant la conquête française et depuis la disparition de la civilisation romaine.

Mais les prises d'eau à la rivière devaient être des plus difficultueuses dans les périodes de sièges. Les pluies de l'hiver ou la fonte des neiges des hauts plateaux en font un énorme torrent roulant, entre les murs à pic de ses rochers, ses eaux avec un bruit de tonnerre; l'ardent soleil de l'été l'assèche.

Presque complètement, au point de' réduire son cours à un simple filet d'eau. En outre, pendant les périodes de guerre, les assiégés ne pouvaient atteindre le niveau des eaux que la nuit et après mille dangers, en raison de la hauteur des escarpements des plus abrupts.

Cette situation exceptionnelle dût faire naître l'idée de la création de citernes individuelles pour recueillir toutes les eaux de pluie. Les Carthaginois, s'ils ne furent peut-être pas les promoteurs de ce genre de constructions, durent y contribuer de la plus large façon et l'occupation romaine développa encore ce mode de captation des eaux. Mais ces eaux étaient forcément polluées par des impuretés provenant du délavage des toitures, les épidémies d'origine hydrique devaient sévir d'une manière terrible. Cela devait préoccuper les maîtres du monde qui, ne regardant pas à la dépense, résolurent d'aller chercher au loin un liquide pur et abondant.

Peut-être même que de riches citoyens de Cirta, voulurent-ils, pour le bien public, contribuer personnellement à la dépense, puisque nous savons qu'un certain Gargilianus aurait légué une certaine somme à la Respublica Cirtensiurn pour la construction d'un aqueduc non déterminé.

Si donc, à l'époque dont nous parlons, le premier aqueduc cité plus haut avait été construit, peut-être sous la direction des architectes grecs de Micipsa, le peu d'eau qu'il amenait, surtout en présence de l'extension suburbaine de la cité, devenait insuffisant; de plus, elle était polluée par les déversements des toitures des monuments du Capitole. Il fallait, en outre, alimenter les nombreux thermes qui avaient été édifiés et pousser le raffinement jusqu'à distribuer, comme à Rome, l'eau à domicile.

Les architectes se mirent donc à la recherche d'un point d'eau salubre. Vitruve nous a fait connaître de quelle façon on reconnaissait à son époque la qualité de l'eau. Avant de capter une source, on examinait l'état de santé des habitants qui vivaient dans son périmètre, leur teint, s'ils n'avaient pas de plaies aux jambes ou de fluxions aux yeux. En faisant bouillir l'eau, on regardait si elle ne laissait aucun dépôt au fond du vase ou bien si elle cuisait facilement les légumes, enfin si elle n'était pas encombrée de mousses et de joncs.

Ces procédés nous font sourire, mais l'analyse et la question microbienne étaient inconnues et nous ne pouvons qu'admirer la sagesse romaine qui a toujours su discerner les eaux ayant la meilleure pureté. Nous n'avons, du reste, été que les continuateurs de cette sagesse qui nous a été un guide si précieux sur la terre africaine, soit pour l'édification des cités, soit pour la question de l'hydraulique.

En se dirigeant vers les points d'eau situés vers le sud de la ville, les architectes étudièrent deux sources principales, celles dénommées actuellement Ras-el-Ain-Bou-Merzoug et Fesguia. Ils choisirent la première, non parce qu'elle était plus rapprochée de Cirta, mais probablement parce que les essais à l'ébullition. Avaient prouvé qu'elle était moins chargée de calcaire. En effet, les enduits du canal dont nous avons parlé antérieurement, avaient des couches de dépôts très minces et les débris de tuyaux en poterie ou en plomb retrouvés à travers la ville, ont des tracés infimes d'incrustations. A ce sujet, on peut faire diverses objections; la partie du 'canal découverte avait peut-être été réfectionnée peu de temps avant sa destruction. Pour les conduites, l'eau devait circuler continuellement, ce qui empêchait les dépôts. En outre, comme nous le dirons plus loin, de nombreux châteaux d'eau servaient de bassins de décantation. De nos jours les conduites de fonte des eaux de Fesguia sont épaissement encroûtées. Cela tient évidemment à ce que pendant un demi-siècle, jusqu'au doublement de la conduite principale, l'eau fut distribuée parcimonieusement, souvent à peine quelques heures par jour, et que, pendant sa stagnation dans le tuyautage, elle déposait une matière pierreuse qui arrivait à obstruer les tuyaux de petit diamètre.

C'est sous la période des Antonins et des Sévères que la ville de Cirta atteignit à l'apogée de sa splendeur, ainsi qu'en témoignent les inscriptions. Il est probable que c'est à cette époque que fut décidée la construction du grand aqueduc dont les cinq arches majestueuses qui existent encore, se profilent dans la vallée encaissée de l'antique Amsaga. On les dénomme de nos jours les Arcades Romaines.

En septembre 1894, un jeune lycéen d'alors, M. Mercier', frère de notre Vice-président, au hasard d'une promenade au Camp des Oliviers, où subsistent encore des massifs de blocage, repérant le passage de l'aqueduc antique, remarqua une pierre taillée émergeant à peine du sol. Cette pierre, immédiatement exhumée, portait une dédicace à Caracalla et, étant donné le .lieu où elle gisait, elle paraît se rapporter à l'inauguration de l'aqueduc :

ANTONINO

FICI MAX. TRP IV

PH F DIVI   M

IA            HI

IE POTI DIVI

ICIAM NEPOTI

Il semble que cette dédicace se rapporte à Septimus Bassianus (l'empereur Caracalla) dénommé sur les inscriptions fMP. CAES MAVREL1V.:3 SEVERVS ANTONINVS, mais dont la IVe puissance tribunitienne correspond à l'an 201, époque où il n'était encore qu'associé à l'empire, puisque son père Septime Sévère ne mourut qu'en 211, année de la XIV· puissance tribunitienne de Caracalla. Il est certain, comme du reste le supposait Vars, que le chiffre IV avait été ciselé, ce qui rendait la lecture difficile, et que cette inscription se rapporte à l'époque où Caracalla régna seul, de février 212, après l'assassinat de son frère Geta, au 8 avril 217, années où il eut ses puissances tribunitiennes du N° XVI à XX, autrement il serait fait mention soit de Septime Sévère, soit de Geta, sur cette inscription.

Si donc cette dédicace se rapporte à l'inauguration de cette œuvre gigantesque, il est fort à présumer qu'elle fut commencée longtemps avant même l'avènement de Septime Sévère (193). Il serait alors probable que ce serait à l'époque de Commode que furent fait les premiers travaux et si ce que nous disions précédemment de la munificence de Gargilianus se rapporte à cet ouvrage, cela permettrait de fixer l'existence de ce personnage dans la deuxième moitié du Ile siècle Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agissait de la construction d'une conduite d'eau d'une longueur de 42,000 pas, franchissant montagnes et vallées, avec ouvrages d'art, bassins de décantation, citernes, etc., et que son élaboration fut une œuvre de longue haleine.

Vitruve nous a fait connaître quelle était l'unité de mesure des eaux adoptée par les Romains et qu'il aurait lui-même inventée. C'était le quinaire, équivalent à cinq pouces cubes, soit 030000198.

Sextus Julius Frontin, qui fut, au premier siècle de notre ère, sous Nerva, curator des aqueducs de Rome, nous a laissé de précieuses indications sur le service des eaux, sur le système de distribution aux édifices publics et aux particuliers et sur les fraudes qu'exerçaient à leur profit les fontainiers. Un personnel nombreux, composé d'une catégorie d'esclaves, était placé sous les ordres du curator et était chargé de l'entretien des canalisations et de la distribution des eaux. Ils étaient dénommés: villicus, contrôleur; castellarius, gardien de château-d'eau; circitor, inspecteur; silicarius, paveur; tector, faiseur d'enduits; aquarius, fontainier; plumbarius, plombier. Ce même personnel devait exister à Cirta, comme du reste dans les grandes villes de l'empire, et le système de répartition des eaux devait avoir été calqué sur celui de Rome.

L'eau emmagasinée dans les citernes se rendait ensuite dans des château-d'eau qui devaient être établis dans chaque quartier, suivant son altitude.

C'est de ces constructions que partait un réseau de tuyautage en plomb pour la distribution publique ou privée.

A cet effet, des trous étaient percés dans les murs du castellum pour y installer la prise qui consistai t en un calix de bronze soudé au tuyau ide distribution et scellé dans la maçonnerie qu'il dépassait intérieurement. Ce métal avait été choisi de préférence au plomb, afin qu'il ne put être tordu d'un côté ou d'un autre, dans le but de modifier le volume d'eau concédé. Mais les acquarii tournaient la difficulté en plaçant ces calices, pour ceux dont ils avaient à espérer les largesses, plus bas que le niveau réglementaire, ce qui, par suite de la différence de pression, augmentait le débit. Par contée, pour les concessionnaires contre lesquels ils avaient des griefs, ils installaient la prise plus haut afin de produire l'effet contraire. Une autre fraude des fontainiers consistait, lorsqu'une concession avait été fermée, à conserver la prise dans le castellum et à brancher sur le tuyau une nouvelle conduite qui leur permettait de percevoir à leur profit l'eau qu'ils amenaient à un ami généreux. Ils pratiquaient aussi dans les conduites principales des rues, ce qu'on appelait ponctum. C'était une saignée à laquelle était adaptée un tuyau qui conduisait l'eau chez un ami Il était d'usage, cependant, d'établir un service de surveillance, le long de toute la conduite d'eau, au moyen d'un système d'équipes formées de toutes les professions nécessaires et localisées par district. Il fallait, en effet, apporter la plus grande attention à ce que tout le système d'adduction soit maintenu en parfait état.

Frontin nous dit que ces ouvrages étaient l'objet du plus grand soin, car ils étaient un des principaux témoignages de la grandeur de l'empire romain. Magnitudinis romani impeTii indicium.

Les réparations à faire étaient occasionnées par différentes causes: la vétusté, la violence des tempêtes, la cupidité des propriétaires des terres traversées ou un vice de construction.

Ordinairement, les parties en arcades ou à flanc de coteau subissaient les effets des deux premières causes. Ce cas se présente tout particulièrement pour l'aqueduc de Cirta où tous les arceaux qui franchissaient l'Amsaga ont disparu, rongés ou emportés par les eaux.

Quant aux canaux, les réparations étaient nécessitées par les dépôts s'attachant à leurs parois et qui obstruaient le courant au bout d'un certain temps, ou par la dégradation des enduits. Ce dernier cas s'applique peut-être à la partie de canalisation qui a été l'origine de cette étude. Ainsi que nous l'avons expliqué, les dépôts calcaires étaient très minces. Cela peut laisser supposer une réfection d'enduit qui aurait été faite peu de temps avant la ruine complète de l'aqueduc. Nous avons parlé des causes naturelles de dégradation et de destruction, auxquelles doivent s'ajouter les causes accidentelles, telles que les guerres et les sièges. Un moyen rationnel pour amener les assiégés à se rendre a été de tout temps de leur couper l'alimentation en eau et en vivres.

Il est certain que ce moyen radical fut employé dans les nombreux sièges qu'eurent à soutenir les Cirtéens et que Rufus Volusianus, préfet du prétoire et Zénas, qui commandaient les légions de Maxence, entre autres, y eurent recours, avant d'emporter la ville d'assaut et de la détruire. Constantin dut faire restaurer les conduites d'eau lors de la reconstruction de la cité, à laquelle il donna, au dire d'Aurelius Victor, une nouvelle splendeur: Cinoque oppido, quod obsidione Alexandri cecidera t, reposilo exortuüoque.

Toujours est-il qu'au Ve siècle, Cirta devenue Constantine depuis un siècle et demi, recevait encore régulièrement ses eaux, puisqu'une novelle de Valentinien de l'an 415 défend aux particuliers d'usurper l'eau attribuée par des privilèges anciens à la plèbe et aux curiales de la cité (3).

sont Nous allons maintenant chercher à expliquer comment l'eau franchissait la profonde dépression de la vallée de l'Amsaga, dont le fond est à la cote 515, pour atteindre aux citernes d'arrivée aujourd'hui disparues, l'altitude 63'1. Tous les auteurs d'accord sur l'existence d'un siphon. Ravoisié, qui étudia les vestiges de l'aqueduc en 1840, conclut nettement à son existence; Gsell (loc. cit.) opine dans le même sens. Certains archéologues émettaient la fausse idée que les Romains ne connaissaient pas le siphon, erreur profonde, puisqu'il semble même avoir été connu des Grecs.

Du reste, consultons Vitruve, il nous apprend que si l'on rencontre de longues vallées, on y conduira les tuyaux suivant la pente du coteau; à quelque distance du fond de la vallée, on les posera à niveau sur un ouvrage de maçonnerie peu élevé et autant qu'il sera nécessaire pour que l'eau puisse remonter de l'autre côté, après avoir traversé toute la dépression. Cet ouvrage forme un ventre, appelé                 par les Grecs. Il ajoute qu'en resserrant l'eau dans des tuyaux de plomb, on pourra fort commodément la conduire, mais que si l'on veut réduire la dépense, on se servira de tuyaux en poterie ayant au moins deux doigts d'épaisseur et s'emboîtant l'un dans l'autre, leurs joints étant lutés avec de la chaux détrempée dans de l'huile.

Cet architecte nous a laissé aussi la description des tuyaux de plomb qui devaient être fondus par longueur de dix pieds au moins ( 2 m 979), chaque tuyau devant peser 1,200 livres si la feuille de plomb était de la largeur de 100 doigts, 960 pour 80 doigts, 600 pour 50, 480 pour 40, 360 pour 30, etc., en se basant toujours sur le poids de 12 livres par doigt de largeur de la feuille métallique avant d'être enroulée. L'enroulement fait, les deux bords étaient reliés par une soudure longitudinale très soigneusement établie. Les tuyaux étaient ensuite mis bout à bout par emboîtement tronconique et lutés comme il est dit plus haut, le mastic de chaux étant maintenue par une ligature d'étoffe.

'une question se pose maintenant: les tuyaux du grand siphon étaient-ils en plomb ou en poterie?

Il existe au musée lapidaire installé au square de la République un dé en pierre évidé dans le milieu, dans lequel sont encastrés deux tuyaux de poterie jumelés et noyés dans du ciment. Ce fragment ne provient pas du grand siphon, mais bien de celui qui amenait les eaux des citernes aux château-d'eau de la ville et qui servait à Franchir la dépression profonde qui est aujourd'hui remblayée par les terrains des squares:

Ce fragment nous donne une indication sur le moyen employé par les Romains pour maîtriser la pression, en renforçant les tuyaux au moyen d'une enveloppe de pierre. Aucun débris semblable n'existait dans le voisinage des arcades romaines, il est supposable que le tuyautage était en plomb et que ce métal a tenté la cupidité des successeurs des Romains, tout comme les conduites placées dans la ville dont quelques rares morceaux, conservés au Musée. Ont seuls pu parvenir jusqu'à nous.

D'après les lois de Vitruve, des dés de pierre devaient se trouver aux deux extrémités du niveau pour faire le raccord avec les deux pentes du siphon, mais il se pouvait fort bien qu'en raison de sa longueur tout le sommet de l'aqueduc ait été couronné de trois rangées parallèles de ces dés de pierre évidés, donnant passage à six tuyaux jumelés de 105 millimètres de diamètre, nombre paraissant nécessaire pour débiter la quantité d'eau suffisante pour atteindre la hauteur de 35 centimètres indiquée par les incrustations de la canalisation.

Le siphon paraît avoir abouti aux environs de la clinique actuelle du docteur Martin, après un parcours de près de 1,000 mètres en montée. Si nous y ajoutons le niveau et la partie descendante sur la rive droite de l'Amsaga, nous atteindrons une longueur de plus de 1,500 mètre. C'était donc la pose bout à bout sur six tuyautages parallèles de plus de 3,200 tuyaux. Restons émerveillés d'un pareil ouvrage bien digne de la Rome éternelle et calculons la dépense énorme qui en résulta, quelques largesses qu'eût pu faire Gargilianus.

Nous disons donc que le siphon, arrivant en ligne droite au point que nous venons de déterminer, devait aboutir à un nouveau système d'arcades dont nous pouvons encore voir en place le blocage des fondations. Abandonnant alors le parcours rectiligne, il s'infléchissait vers l'ouest pour aboutir à un bassin de décantation dont la substruction est recoupée par le chemin conduisant au Camp des Oliviers sur une longueur de plus de 22 mètres. Ce bassin, qui terminait cette série d'arcades dont nous venons de parler, s'adossait au coteau voisin, d'où partait la conduite découverte l'hiver dernier. Elle franchissait ensuite les dépressions du flanc de colline, occupées actuellement par les propriétés Fourrier et autres, par un nouveau système d'arceaux dont les débris éboulés se sont fichés dans les talus en contrebas de l'avenue de la Pyramide, où tout le monde peut encore les voir, pour aboutir aux premières pentes du Coudait, l'ancienne nécropole romaine, d'où une canalisation amenait l'eau aux citernes. Il y a 25 ans, on pouvait encore distinguer les blocs de maçonnerie avec naissance des voûtes en briques, et parements de même matière. Tous ces vestiges ont disparu lors du dérasement du Coudait-Aty.

Une route dallée devait suivre la conduite d'eau sur un certain parcours; le tracé en est à peu près celui de l'avenue de la Pyramide, où il ya deux ans, lors de terrassements pour pose de tuyaux d'égouts, il a été trouvé, sous nos yeux, à environ un mètre de profondeur, des dalles épaisses en calcaire bleu du pays, à .la surface polie par un long passage. Ces vestiges ont été du reste signalés dans un plan de Ravoisié et cette découverte ne fait que confirmer l'exactitude de son travail. Mais où cet archéologue a commis une grosse erreur, c'est que lorsque dans la nécessité de calculer les cotes pour aboutir aux citernes du Capitole, il a fait aboutir la grande canalisation en question à des ruines de réservoirs qui existaient près du fort de Bellevue actuel et dont on peut distinguer encore quelques débris. Nous allons étudier cette question. La hauteur des cinq arcades encore existantes, est à 30 mètres au-dessus de la rivière; en y supposant un rang de petits arceaux (exemple: le Pont du Gard) et en le couronnant des dés en pierre du siphon, nous atteindrons la cote 540 à 545. Ravoisié faisait donc franchir au siphon une différence de niveau d'environ 115 mètres, supérieure à l'altitude de la colline de départ et qui, pour arriver à une cote égale, eut dû se prolonger en amont vers les hauteurs supérieures, ce qui lui eût donné une longueur de peut-être mille pas de plus.

Cette erreur est aujourd'hui démontrée par le tracé de la conduite que nous avons reconnu et suivi à flanc de coteau.

Il est indéniable qu'une citerne a existé à la cote 653, mais elle n'avait que 32m78 de long sur 5m95 de large et n'aurait guère pu contenir que 5 à 600 mètres cubes au maximum. Alors une question se pose: à quoi pouvait bien servir ce réservoir dont il ne subsiste encore quelques vestiges. La réponse est bien simple : à capter une source qui, à cette époque, sourdait à la surface du sol et dont la nappe devenue, à notre époque, souterraine, s'épand visiblement surtout sur le versant nord-est du mamelon. On peut encore se rendre compte qu'il en partait une canalisation, visible surtout après une érosion provenant d'un fort orage, et qu'elle se dirigeait vers la grande conduite d'eau de Cirta.

C'était donc un adjuvant, un appoint, pour augmenter la quantité d'eau à consommer et d'un usage fréquent chez les Romains. N'en trouvons-nous pas un exemple à Rome, où l'eau Augusta, captée sous Auguste, venait renforcer par un canal de 800 pas l'eau Marcia, dont la captation remontait à l'an 144 avant J.-C. et dont le débit était de 4,690 quinaires.

Nous avons dit que l'eau arrivait aux citernes qui étaient situées à mi-flanc de la colline du Coudait. De là ces eaux étaient réparties au moyen de plusieurs conduites, probablement t en poteries et souvent jumelées, qui franchissaient par un nouveau siphon la dépression profonde qui existait entre la colline d'arrivée et la cité. L'un de ces tuyautages passait dans le terrain occupé par l'hôtel des Postes, car plusieurs fragments de poteries furent trouvés lors de sa construction. Un autre branchement devait se déverser dans un château-d'eau dont les vestiges se voyaient aux environs de la porte Djebia, probablement pour desservir les quartiers bas de la ville et le faubourg, qui recouvrait les pentes descendant vers l'Amsaga. Ce faubourg existait encore en l'an 1325, puisque Ibn Batouta raconte que lui et ses compagnons, surpris par une pluie torrentielle, vinrent y chercher un refuge (4).

Un certain nombre de tuyaux découverts dans les terrassements se trouvent au Musée de la ville. Il en est de plusieurs diamètres intérieurs : 90, 102, 105 et 113 millimètres. Leur épaisseur varie de 3 à 4 centimètres et la longueur atteint 0m45. La pâte en est fine et bien corroyée, de couleur ocre rouge, très dure et de cuisson très soignée. Les marques de fabrique y sont très nettes et ont été imprimées sur la pâte molle au moyen d'un cachet rectangulaire allongé, probablement en bronze, ayant des caractères gravés en creux. On y relève les marques sous forme d'adjectif des officines de cinq localités différentes: Tiddi, Uzel, Auzur, Gemellæ et Milev :

TIDITANI              VZELITAN             AVSVRENSES

 

          GEMELLENSES           MILEVITANI

Notre Musée possède aussi des tuyaux de plomb des diamètres 54, 59, 81, 89 millimètres et un robinet à deux eaux, en bronze, de 28 millimètres. Tous ces tuyaux, conformément aux indications vitruviennes, sont formés d'une feuille enroulée et soudée sur la longueur, comme nous l'avons déjà expliqué. Le système de distribution indiqué par Vitruve a dû être appliqué à Cirta. Il nous dit que lorsque l'eau arrivera près des murs de la ville, il faudra construire un castellum (château d'eau) dans lequel se trouveront trois bassins alimentés par trois tuyaux qui distribueront l'eau également. Ces réservoirs seront disposés de telle façon que lorsqu'il y aura beaucoup d'eau, le réservoir du milieu recevra l'excédent des deux autres et l'enverra par des tuyaux à toutes les pièces d'eau et fontaines jaillissantes (lacus et salientes); l'eau de l'un des autres bassins ira aux bains publics, dont la ville tire un revenu tous les ans (oecti­gal,. Enfin le liquide du dernier réservoir sera conduit aux maisons des particuliers. Ce système donnait la préséance aux choses publiques sur celles privées.

Il résulte donc de ces explications que c'était dans le bassin n° 3 qu'étaient disposés les calices de bronze dont nous avons précédemment parlé.

Les tuyaux de plomb dont nous avons donné plus haut les diamètres devaient appartenir aux bassins nos 1 et 2 et devaient alimenter des bains publics, piscines ou salles de spectacles, car le module employé pour les particuliers devait varier entre la fis­tula quuuiria, du diamètre d'un doigt et la fistula­denaria d'un diamètre de deux doigts et demi et dont le débit était respectivement de 1 à 4 quinaires. C'était du reste une sage mesure édilitaire, car le débit total de l'aqueduc ne devait pas dépasser par 24 heures 3,996 quinaires, correspondant à environ 1,728 mètres cubes, chiffre qui, à l'étiage, devait être largement réduit par les saignées et les fraudes sur le parcours.

La question de l'hydraulique était, nous le savons, d'importance capitale chez les Romains. La sollicitude des consuls et des empereurs pour cette res publica, la bonne alimentation en eau de Rome, s'est étendue à toutes les provinces, ainsi que le révèlent les nombreuses ruines d'aqueducs monumentaux et de citernes colossales qui subsistent encore éparses à travers l'ancien empire des maîtres du monde. Les sénatus-consultes et les lois ou constitutions impériales qui les régissaient, nous sont parvenues nombreuses. Leur violation entraînait les contrevenants à des amendes considérables où la responsabilité civile entrait en jeu. Ainsi la loi votée au forum par le peuple sous le consulat de T. Quintus Crispinus, condamnait à 100,000 sesterces d'amende, au profit du peuple romain, le maître d'un esclave ayant occasionné un dommage aux eaux publiques. Cette même loi interdisait le pacage des animaux; aucune plantation d'arbres, vignes, buissons, haies, saules, roseaux, ne pouvait être faite dans Je voisinage des conduites d'eau. Constantin 1er le Grand, en 330, obligeait les possesseurs des fonds traversés au nettoyage et au curage des conduites, sous peine d'être dépossédés de leurs biens; un espace de 15 pieds sans plantations, devait être réservé de chaque côté.

Un nouvel édit de Valentinien et Valens, en 370, punissait d'une amende d'une livre d'or quiconque se faisait octroyer plus d'eau qu'il ne lui en était légalement accordé. Il faut croire que les lois et leur application ne troublaient guère les usagers et les riverains, puisque Théodose, Arcadius, Honorius et Zénon durent prendre les mesures les plus sévères pour mettre ordre aux fraudes et aux violations des lois, et que les amendes prévues s'élevèrent jusqu'à 100 livres d'or (environ 120,000 francs).

Justinien dut confirmer les décisions de Théodose en les accentuant; il interdisait, soit à Rome, soit dans les provinces, que personne ne puisse avoir la permission de tirer de l'eau d'un aqueduc ou d'une fontaine publique sans un rescrit impérial, obtenu dans la forme ordinaire, devant le tribunal suprême de l'empereur ou devant tout autre magistrat compétent, à peine d'une amende de 10 livres d'or.

Tout cela nous amène à conclure que les Arcades romaines actuelles ne nous donnent qu'une faible idée du grandiose monument qui alimentait Cirta en eau saine et abondante, de la somme énorme qui y fut dépensée et du temps qu'il fallut pour leur construction. Travail gigantesque et digne du nom prestigieux de Rome.

E. THÉPENIER,

Secrétaire de la Société, Conservateur du Musée.

1.      Gsell, Monuments antiques de l'Algérie.

2.      Recueil de la Société archéologique de Constantine, 1868, p. 422.

3.      Gsell, Atlas archéol. Constantine, page 15.

4.      Charbonneau, Recueil de la Société, 1854.

 

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01/06/2010
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