CHAOUKI-LI-QACENTINA

CHAOUKI-LI-QACENTINA

RANDONNEE DANS LA VIELLE MEDINA DE CONSTANTINE

Des vieux fondouks aux bazars de luxe

«Dans les gorges du Rhummel, insolemment épiques, les corneilles vérifiaient leur virtuosité. Au-dessus de Sidi M’cid, les éperviers décrivaient de larges cercles nonchalants. Sur les marchés arabes, on grillait des épis de maïs que l’on mangeait bien salés en les aspergeant d’eau tiède.»                         

      Malek Haddad

Les artisans tailleurs du fondouk de Beni Abbès, sur la place populaire de Rahbet Ledjmal (ex-place des Chameaux), triment toute la journée pour confectionner des pantalons, commandés par les nombreux grossistes de la ville. Assis devant leur machine à coudre dans de minuscules pièces semi-obscures, les artisans tailleurs du fondouk de Beni Abbès, sur la place populaire de Rahbet Ledjmal (ex-place des Chameaux), triment toute la journée à confectionner des pantalons, commandés par les nombreux grossistes de la ville. Ils sont les seuls artisans à encore accomplir ce dur métier dans ce qui ressemble à des «cellules» de l’ancien et très célèbre caravansérail de la place des Chameaux, dans la vieille médina de Constantine. La bâtisse est dans un état de délabrement qui ne laisse personne insensible.

Dans la cour entourée de quelques dépôts de marchandises tenus par des grossistes, les murs fissurés et défraîchis sont retapés en plusieurs endroits. En montant aux étages par des escaliers plongés dans l’obscurité, on est frappés par la vétusté de ces rambardes en bois «rafistolées» avec des planches. Les colonnes crasseuses qui tiennent ces passages, résistent encore tant bien que mal, en dépit de l’usure. Dans les couloirs, des tables de fortune servent à accueillir les rouleaux de tissu découpés en série. «L’hiver est dur ici et l’été est infernal», nous dira un vieux. Le travail est machinal. La plupart des logis sont fermés.

PLUSIEURS GENERATIONS DE TAILLEURS

«Seuls les plus tenaces sont restés», nous lance un jeune. L’état des lieux est le même dans tous les autres fondouks. Des lieux qui continuent de faire vivre des centaines de familles, mais qui semblent être profondément relégués dans l’oubli.

«Moi, j’ai vu défiler plusieurs générations de tailleurs dans ce même endroit qui a perdu depuis des décennies sa vocation de caravansérail, mais il demeure un pan de mémoire de la ville», notera ammi Brahim, un habitué de Rahbet Ledjmal.

Ce lieu planté dans le ventre de la ville vit désormais ses bouleversements sociaux et ses nouvelles mœurs et habitudes de consommation. «Il est très difficile de convaincre les jeunes aujourd’hui à pratiquer le métier d’artisan tailleur. La plupart d’entre eux ont choisi la voie du commerce de bazar, une activité plus prospère», regrette-t-il.

L’INVASION DES BAZARS

Il y avait tout au début le bazar «Barbès de Paris», dans un passage voûté entre les deux rues menant vers Rahbet Ledjmal. Une référence à l’époque où les produits ramenés de ce quartier célèbre de Paris dans de grands cabas, s’écoulaient ici. Le lieu a laissé la place aux boutiques de téléphonie mobile. Signe des temps modernes. A quelques encablures de là, sur l’ex-place des Chameaux, tout un immeuble a été transformé en bazar de «luxe» à étages avec des boutiques aux vitrines flamboyantes. Des espaces tracés à l’équerre. Un plancher en dalle de sol.

Une marchandise impeccablement rangée. Des plafonds décorés, avec du néon, mais surtout de l’air conditionné. C’est là toute la différence d’avec les étals de fortune dressés anarchiquement dans la rue et surmontés de bâches et de pans de plastique pour se protéger du soleil et de la pluie. Dans ces bazars, les constructions ont été transformées mais sans harmonie avec l’architecture de ce vieux quartier. De nouveaux bazars ont vu le jour rue Marrouf (ex-Pantalacci), entre la rue Larbi Ben M’hidi et la rue des Frères Barrama, mais aussi près de la rue Abdallah Bey. Tous les produits proposés viennent d’Asie. La «griffe» à n’importe quel prix. Une fausse griffe, puisque la plupart des produits sont issus de la contrefaçon.

SUR LES PAS DE BOULAROUAH, 40 ANS APRES

Parmi tous les écrivains qui ont évoqué Constantine dans leur ouvrage, Tahar Ouettar est celui qui a décrit dans les moindres détails les multiples facettes de la société à l’époque des grands bouleversements des années 1970. Dans son célèbre roman Ezzilzel, paru en 1973 aux éditions Sned, il consacre un bon chapitre à Rahbet Ledjmal à travers les pérégrinations de son héros, Abdelmadjid Boularouah. Ce dernier arrive en plein mois de juillet, juste avant le Ramadhan. Il est bouleversé par un monde en effervescence. «Les odeurs de Constantine ! Elles vous accueillent, vous accompagnent, vous poursuivent, vous prennent à la gorge, on les reconnaît avant d’avoir fait deux pas, elles vous portent sur les nerfs, vous soulèvent le cœur», fera dire l’auteur à son personnage.

L’ambiance de Rahbet Ledjmal se ressent à travers le mouvement des gens dans les cafés, les bruits de la foule et des vendeurs et surtout les odeurs de cuisine qui se font plus insistantes vers midi. «Rahbet Ledjmal est restée telle quelle. Mais comment tiendraient cinquante chameaux sur cette place étroite ? Pourquoi donc les anciens l’ont-ils appelée ainsi ? A l’origine, la place était sans doute immense, mais petit à petit ça a changé. Toutes les fois qu’un chameau quittait la place, celui qui l’avait amené s’installait ici.» Quarante après, beaucoup de choses ont changé à Rahbet Ledjmal, même si sa vocation commerciale est restée intacte, avec une touche de modernité.

De nouvelles habitudes alimentaires s’installent dans les gargotes, avec ces inamovibles vendeurs de pizza. Les rares coiffeurs sont installés dans de minuscules boutiques et des horlogers — encore une race en voie de disparition — sont rejoints par des réparateurs de téléphones portables. Seuls les fameux hmamsia (vendeurs de ragoût de pois chiches) gardent toujours une place de choix dans ces lieux. D’ailleurs la notoriété du plat dit «homos double zit» n’est plus à discuter. «Ici, les gens ne se soucient guère les uns des autres, chacun agit à sa guise comme s’il était seul, sans être surveillé, ni influencé par personne. Ils ne savent faire qu’une chose : tendre les mains pour présenter leur marchandise», pour paraphraser cheikh Boularouah. Mais Rahbet Ledjmal restera toujours Rahbet Ledjmal.    

Arslan Selmane

El Watan

Le 07.08.13



07/08/2013
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