TAFAGOUMET. UNE ZONE HUMIDE BRAVE L’HOSTILITE DE LA HAMADA
Un caprice de la nature. Un monde où se mêlent les empreintes de grenouilles bienheureuses, de cigognes de passage ou celles, plus mystérieuses, d’une vie antérieure. La zone humide de Tafagoumet, au nord de Tindouf, préserve jalousement ses secrets…
Deux étendues d’eau incrustées dans la roche qui les encercle à perte de vue et qu’une végétation luxuriante couve comme pour les soustraire à ce milieu impitoyable… à ce désert, à cette hamada aride. Non, ce n’est pas un mirage ! Ce n’est pas non plus une oasis comme on en connaît. Tafagoumet est une zone humide, située à 165 km au nord-est de la ville de Tindouf. Deux étangs dont le plus grand s’étend sur plus de cent mètres, avec une largeur d’une trentaine de mètres. Pour accéder à l’une de ses rives – une large plage tout en longueur sur un des côtés – il faut passer à travers bois : pas d’acacias (talh) mais de «vrais» arbres verdoyants, des pins.
L’ombre, la fraîcheur et l’eau à proximité forment face au relief rocheux et nu, et à la chaleur ambiante du mois de mai, un contraste encore plus saisissant. On peut jurer qu’on n’est pas au Sahara ! Le sol meuble, et même vaseux par endroits, laisse deviner que l’étendue de cette nappe était plus importante. Ce que nous confirme Harkak El Kebir, 57 ans, qui a passé toute sa vie de nomade dans la région, en nous montrant les traces de salinité sur les parois rocheuses qui s’élèvent sur les autres côtés. Devant l’autre étang de moindre importance, mais plus profond et… poissonneux, Harkak nous indique un endroit, une vaste dalle rocheuse polie comme un galet, à presque deux mètres au-dessus de la surface de l’eau.
«L’eau arrivait jusque-là et c’est de là qu’on plongeait quand on était jeunes. Il n’y avait pas tous ces roseaux que vous voyez», dit-il en confirmant la profondeur de ce petit étang qui cacherait en son sein une sorte de gouffre ayant englouti de nombreux baigneurs téméraires.
«L’eau a encore baissé ces deux dernières années», nous révèle un agent de la conservation des forêts. Mais Tafagoumet, c’est encore plein de trésors non découverts. Aux alentours des étangs, sur le versant de la montagne pierreuse, à bien y regarder, il est possible de déceler des fossiles : des coquillages solidifiés sous plusieurs formes.
Mammouth
Et puis, à environ 5 km de là, au lieudit Larouiet El Ghoula, vous aurez la chance d’admirer quelques gravures rupestres. Au sommet de ce site, un monticule de grosses pierres noires au milieu de la vaste hamada plate, des traces millénaires. Les dessins sur la roche représentent des bovins (une vache et un taureau) et un peu à l’écart, la forme d’un mammouth. Il est capital de ne pas prendre de photos. Il s’agit apparemment d’une récente découverte. «Ils ne sont pas encore répertoriés», justifie la représentante de l’Office national du parc culturel de Tindouf (ONPCT) qui nous accompagne. Qu’à cela ne tienne, notre émerveillement était à son comble, d’autant plus que nous avions conscience que la chance de visiter la région de Tafagoumet n’est pas donnée à tout le monde.
Classée zone militaire depuis quelques années, son accès est soumis à une autorisation préalable. En vous promenant dans le coin, ne ratez pas les vestiges d’une imposante construction en pierre surplombant, côté ouest, le grand étang. La légende, ici, parle d’un fort construit par les Portugais au XVIIe ou XVIIIe siècle. L’édifice accolé à la montagne rocheuse est connu sous l’appellation de «Douirète Bertkiz», du nom de la reine portugaise… ou anglaise qui y vivait. «Il n’y a pas longtemps, des gens s’y sont installés, mais ont été attaqués par les moustiques», raconte Harkak pour l’anecdote. A Tafagoumet, l’ensorceleuse, les journées sont bien trop courtes…
Une halte pour les cigognes, un refuge pour les aigles :
Dans cette flore foisonnante, toute une faune a élu refuge ; à commencer par les grenouilles, dans leur milieu de prédilection, qu’on entend croasser en plein jour, lièvres, rats, serpents, scorpions, mais aussi loup, renard, ainsi que le mouflon qui fait, de temps à autre, des apparitions pour s’abreuver. Harkak poursuit en évoquant les espèces de volatile telles que la perdrix, «el ghrenga» et «el lagta». Cette dernière abonde dans ce microcosme. «Elle ressemble à la perdrix, mais elle vole beaucoup plus, c’est la nuée qui s’est envolée à votre arrivée», précise-t-il comme pour nous rappeler qu’on a, un petit peu, perturbé ce milieu de quiétude, ce coin de vie usurpé à un univers de désolation pierreuse. Selon notre hôte, l’aigle niche aussi au sommet des montagnes environnantes. Tafagoumet est également un point de transit pour plusieurs oiseaux migrateurs. «Comme les cigognes en automne ou ‘‘el hdya’’ qui ressemble au corbeau et un petit oiseau blanc dont on ne connaît pas le nom, il y a six ou sept espèces différentes», précise Harkak.
Des plantes médicinales que les nomades connaissent bien :
A Tafagoumet, cette eau, dont la provenance demeure un mystère, a donné naissance à une luxuriante végétation qui n’est pas encore complètement identifiée. Quelques jours avant notre passage, un spécialiste en botanique a reconnu qu’il lui était difficile de classifier une espèce d’arbre tant qu’il ne disposait pas de sa fleur ou de sa graine. Les nomades des environs nous énumèrent, en plus du talh et du pin, «kamcha», «atine», «tourja» et une variété de plantes dont le «siouek» et « kef Meriem» «qu’on ramène d’Arabie Saoudite, alors qu’elle existe ici en abondance», regrette l’agent. «On l’utilise pour les douleurs de poitrine (bronchite)», précise Harkak.
Milagh Mankour
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